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Michel de Pracontal

Journaliste scientifique, j'ai travaillé à Science et Vie, à L'Evénement du Jeudi, et au Nouvel Observateur (de 1990 à 2009). Je suis aussi auteur de plusieurs livres dont le dernier, Kaluchua, vient de paraître au Seuil. Sur twitter: @MicheldePrac.

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Billet de blog 25 mai 2013

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Journaliste scientifique, j'ai travaillé à Science et Vie, à L'Evénement du Jeudi, et au Nouvel Observateur (de 1990 à 2009). Je suis aussi auteur de plusieurs livres dont le dernier, Kaluchua, vient de paraître au Seuil. Sur twitter: @MicheldePrac.

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Samedi-sciences (89): comment les rats voient le futur

Supposez que vous projetiez d’aller au cinéma un prochain soir et que vous hésitiez entre deux films. Pour choisir, vous vous représentez les deux possibilités et finissez par choisir le film qui vous attire le plus, ou celui pour lequel vous vous mettez d’accord avec votre conjoint(e), ou encore celui dont les horaires vous conviennent le mieux.

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Supposez que vous projetiez d’aller au cinéma un prochain soir et que vous hésitiez entre deux films. Pour choisir, vous vous représentez les deux possibilités et finissez par choisir le film qui vous attire le plus, ou celui pour lequel vous vous mettez d’accord avec votre conjoint(e), ou encore celui dont les horaires vous conviennent le mieux.

Illustration 1
Dès que le rat regarde dans une direction, certains neurones s'activent © A. Redish

Pour faire votre choix, vous avez effectué un petit voyage imaginaire dans l’avenir. Cette activité mentale consistant à construire des images virtuelles du futur a été appelée « voyage mental dans le temps » (« mental time travel ») par les psychologues Thomas Suddendorf (université du Queensland, Australie) et Michael Corballis (université d’Auckland, Nouvelle-Zélande).

Question rouge pour les éthologues : les animaux non humains font-ils, eux aussi, des voyages mentaux dans le temps ? On ne se posera pas forcément la question pour une mouche ou un poisson rouge. Mais lorsque, par exemple, un geai place de la nourriture dans une cachette à l’abri des regards de ses congénères, a-t-il anticipé la situation désagréable dans laquelle un autre geai s’approprie sa pitance ?

Autre exemple : un chimpanzé répondant au nom de Santino, et vivant au zoo de Furuvik, en Suède, était connu pour être assez irascible. Il a été observé en train de cacher des pierres, avant de les lancer sur les visiteurs du zoo. Cette action peu hospitalière était-elle manigancée de bout en bout ?

Dans la vie sauvage, les chimpanzés se fabriquent souvent des outils qui peuvent être assez élaborés, par exemple une baguette pour attraper des fourmis. Celle-ci subit une série d’opérations : il faut d’abord la choisir, puis la casser à la bonne longueur, enlever les feuilles et les petites branches inutiles, etc. Pendant ces préparatifs, pensent-ils au succulent repas qu’ils vont faire, aux endroits où il y a des chances de trouver des fourmis, à ceux ou ce n’est pas la peine de chercher 

De multiples observations d’animaux sauvages ou en captivité suggèrent qu’ils ont, à un certain degré, des capacités à se détacher du présent immédiat, à planifier des actions et à se projeter dans le futur. Mais comme les animaux ne peuvent pas raconter leurs expériences mentales, il n’est pas simple de tirer des conclusions certaines de l’observation de leur comportement.

Corballis et Suddendorf ont mis au point des critères précis pour déterminer si les animaux sont capables de voyages mentaux dans le temps. Jusqu’ici, ils estimaient que cette aptitude restait une spécificité humaine. Mais de nouvelles recherches ont conduit Corballis a revoir sa position.

Ces travaux, décrits dans la revue Science, fournissent des informations plus complètes que la simple observation des comportements. Il s’agit d’études sur des rats qui explorent des labyrinthes. Mais on ne se contente pas d’observer leurs stratégies exploratrices, on enregistre l’activité de leur hippocampe, zone du cerveau qui joue un rôle clé dans la mémorisation, en particulier spatiale, chez l’homme et l’animal.

Que montrent ces enregistrements ? Il apparaît que lorsqu’un rat a parcouru un labyrinthe, il peut se rémémorer les chemins par où il est passé, mais aussi explorer mentalement des chemins qu’il n’a pas suivis.

Dans une étude datant de 2007, David Redish, de l’université du Minnesota, a analysé l’activité des neurones de l’hippocampe de rats. Le dispositif de Redish permet de détecter individuellement  l’activité d’une centaine de neurones pendant que le rat se déplace librement. Quand le rat évolue dans un labyrinthe, certains neurones réagissent en fonction de la position de l’animal. Autrement dit, ils correspondent à une carte mentale du labyrinthe. Mais Redish a aussi enregistré l’activité de neurones qui représentent, non pas la position réelle du rat dans le labyrinthe, mais la direction qu’il s’apprête à prendre.

Prolongeant le travail de Redish, un article de 2012 d’une équipe de l’université de Californie à San Franciosco a montré que pendant que les rats explorent un labyrinthe, les neurones de leur hippocampe peuvent s’activer pour représenter un trajet déjà effectué, mais aussi un trajet possible que le rat n’est pas effectivement en train de suivre. Les cartes mentales de l’hippocampe peuvent même s’activer alors que le rat se repose en-dehors du labyrinthe.

En clair, les enregistrements des neurones montrent que le rat peut se « rejouer » mentalement les trajets qu’il a effectués ou ceux qu’il pourrait effectuer, ce qui revient à un cas particulier de voyage mental dans le temps.

Une recherche publiée en avril 2013 montre que, de manière analogue, les chauve-souris se représentent l’espace en trois dimensions dans lequel elles évoluent, et l’explorent mentalement. L’observation de l’activité des neurones, en particulier ceux de l’hioppocampe, ouvre une nouvelle fenêtre sur la pensée animale.