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C’est une nouvelle pièce du puzzle compliqué des relations entre les hommes modernes et les Néandertaliens : un crâne retrouvé dans la grotte de Manot, au nord d’Israël, a été daté de 55 000 ans, et ressemble aux fossiles d’hommes modernes trouvés en Europe au Paléolithique supérieur. Cette date tombe juste dans la période où les hommes modernes, sortis d’Afrique et s’apprêtant à se répandre en Europe, auraient pu rencontrer les Néandertaliens au Proche-Orient.
Le crâne de Manot est le premier spécimen d’homme moderne qui apporte la preuve que notre espèce a cohabité avec les Néandertaliens au Proche-Orient à l’époque où des croisements entre les deux espèces ont pu se produire, expliquent l’anthropologue Israel Hershkowitz, de l’université de Tel-Aviv et ses collègues, qui ont étudié le fossile.
Hershkowitz et son équipe viennent de publier l’étude du crâne de Manot dans la revue britannique Nature. Leurs conclusions s’accordent avec celles d’une série d’études génétiques menées depuis 2010 qui ont conduit à l’hypothèse selon laquelle des croisements (limités) entre hommes modernes et Néandertaliens se seraient produits au Proche-Orient, peu avant l’expansion de notre espèce en Europe (voir notre article sur les Néandertaliens et Samedi-sciences du 29 mars 2014).
L’équipe de Svante Pääbo, à l’Institut Max Planck de Leipzig, en Allemagne, a étudié le plus ancien échantillon d’ADN d’homme moderne connu, recueilli en Sibérie, et vieux de 45 000 ans. Elle l’a comparé à l’ADN d’un Néandertalien, lui aussi trouvé en Sibérie. La comparaison des deux séquences d’ADN montre que l’homme moderne présente 2% d’ADN hérité des Néandertalien. Une analyse plus poussée suggère que cet ADN provient d’un croisement qui se serait produit il y a entre 50 000 et 60 000 ans.
Si les hommes modernes et les Néandertaliens ont pu cohabiter en Sibérie, les chercheurs ne pensent pas que ce soit là que se soient produits les premiers croisements entre les deux espèces. L’un des principaux arguments est que les Européens et les Asiatiques contemporains ont tous grosso modo la même proportion d’ADN néandertalien. La manière la plus simple de l’expliquer consiste à supposer que le métissage se soit fait au Proche-Orient, au début du périple des hommes modernes, avant qu’ils ne s’aventurent en Europe du nord.
C’est là que l’affaire se complique : les hommes modernes sont sortis d’Afrique et se sont établis au Proche-Orient il y a environ 100 000 ans. Des fossiles correspondant à cette époque ont été retrouvés, notamment l’homme de Qafzeh, également en Israël. Mais cette date est trop ancienne pour être celle du métissage avec les Néandertaliens, d’après les données génétiques.
Or, jusqu’ici, on n’avait pas de fossiles d’hommes modernes plus récents au Proche-Orient. Par contre, on sait que des Néandertaliens étaient présents à l’époque en Israël et dans d’autres sites du Proche-Orient, et y vivaient encore il y a 49 000 ans. Restait à identifier une contrepartie du côté des hommes modernes à la même époque pour que la rencontre ait été possible : c’est la lacune que vient combler le crâne de Madot. « Nous avons là le crâne d’un homme moderne qui vivat près des Néandertaliens, indique Hershkowitz dans Nature. Potentiellement il pourrait s’être hybridé avec les Néandertaliens. »

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Pour autant, il est encore prématuré de sauter aux conclusions. On n’a pas analysé l’ADN du crâne de Madot, et il est peu probable qu’on puisse prélever un échantillon de qualité suffisante. On ne peut donc pas être certains que le possesseur de ce crâne avait effectivement des gènes néandertaliens. De plus, on ignore ce qu’il est advenu des hommes modernes entre la période de l’homme de Qafzeh et celle du crâne de Madot.
Les Néandertaliens ont-il été les principaux occupants de la région, avant que la situation se retourne et que les hommes modernes connaissent une expansion dans toute l’Europe ? Pourquoi s’écoule-t-il 30 000 ans entre la première sortie d’Afrique et cette expansion de l’homme moderne ? Ces questions restent ouvertes, du fait de la rareté des fossiles et du peu d’indices archéologiques. Il faudra encore d’autres pièces pour compléter le puzzle.