Le tribunal correctionnel de Lille a relaxé Edwy Plenel, directeur de publication de Mediapart, du procès en diffamation que lui intentait le magistrat Philippe Courroye, ancien procureur de la République de Nanterre, dans un jugement rendu le 5 décembre dernier.
Philipe Courroye, qui est aujourd’hui avocat général près la cour d‘appel de Paris, demandait 20 000 euros de dommages et intérêts à Mediapart et 5 000 euros pour les frais de procédure, s’estimant diffamé par un passage de l’un de mes articles sur l’affaire Bettencourt, mis en ligne le 6 février 2015 (on peut le lire ici). J’y expliquais la requête déposée par Mediapart devant la Cour européenne des droits de l’Homme contre la censure de plus de 70 de nos articles sur l’affaire Bettencourt, imposée à Mediapart par la cour d’appel de Versailles sur plainte de Patrice de Maistre (l’ancien gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt).
Voici le court passage de cet article qui était visé par la plainte de Philippe Courroye. « Les enregistrements clandestins effectués en 2009-2010 par le majordome des Bettencourt dans leur hôtel particulier de Neuilly ont permis de mettre la justice en branle, et leur révélation (par Mediapart et Le Point) a évité que l’affaire ne soit étouffée par le procureur de l’époque, Philippe Courroye, un proche de Nicolas Sarkozy ».

Philippe Courroye ne s’est pas présenté à l’audience de la 6e chambre correctionnelle de Lille consacrée à sa plainte, le 19 septembre dernier, et était représenté par l’avocat Olivier Baratelli.
Edwy Plenel a expliqué au tribunal le travail effectué par la rédaction de Mediapart sur l’affaire Bettencourt. Quatre témoins ont défilé à la barre pour Mediapart : les magistrats Isabelle Prévost-Desprez et Benjamin Blanchet, qui étaient en poste au tribunal de Nanterre avec Philippe Courroye pendant l’affaire Bettencourt, ainsi que mon collègue Fabrice Arfi et moi-même. Les avocats de Mediapart, Jean-Pierre Mignard et Emmanuel Tordjman, ont plaidé la relaxe.
Dans son jugement, le tribunal de Lille rappelle l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme qui protège la liberté d’expression. Il note que l’affaire Bettencourt « a été hautement médiatisée dans toute la presse », et que « la légitimité de l’article se justifie par son sujet d’intérêt général, se rapportant, en l’espèce, au fonctionnement du service public de la justice ».
Le tribunal de Lille cite également le jugement rendu le 12 janvier 2016 à Bordeaux, qui a relaxé le majordome et les journalistes dans le volet des enregistrements de l’affaire Bettencourt, et qui qualifie ces documents « d’éloquents » et révélateurs d’un « tel dysfonctionnement dans le cours normal de la justice ». Diffusés en partie lors du procès Bettencourt à Bordeaux, ces enregistrements montraient notamment qu’en 2009, Patrice de Maistre avait été rassuré par l’Elysée sur le traitement de l’affaire naissante par le procureur de Nanterre.
Le tribunal de Lille cite également des conclusions déposées par les avocats de Françoise Meyers-Bettencourt, fille unique de Liliane Bettencourt, qui font état d’une citation directe du 15 juillet 2009 délivrée par la fille de la milliardaire pour pallier l’inertie du parquet, « qui n’a eu de cesse de redoubler d’efforts afin d’empêcher la justice de se prononcer relativement aux faits pour lesquels François-Marie Banier avait été cité ». Le tribunal note enfin que les témoignages des deux magistrats recueillis à l’audience « vont dans le même sens ».
Pour conclure, le tribunal estime que « l’ensemble de ces éléments constitue une base factuelle suffisante sur laquelle le journaliste a exprimé, dans le cadre d’un libre débat démocratique, son opinion, ses commentaires et ses critiques sur la partie civile, sans dépasser les limites admissibles de la liberté d’expression qui sont plus larges pour un fonctionnaire public agissant dans l’exercice de ses fonctions que pour un simple particulier, et sans faire preuve d’une animosité particulière ou d’une imprudence dans son mode d’expression ».
Le tribunal estime donc la bonne foi de Mediapart acquise, et prononce une relaxe. Philippe Courroye, qui a déjà porté plainte contre plusieurs journalistes et blogueurs ayant écrit sur l’affaire Bettencourt, a fait appel de cette décision.