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Billet de blog 27 mars 2024

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Cannabis : la prohibition ne marche pas ? On continue !

Alors que, le 1er avril, l’Allemagne légalise le cannabis récréatif, la France reste coincée dans la prohibition. Les opérations « Place nette XXL » cachent mal la réalité : celle d’un système inefficace, coûteux et mortel.

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Ce 1er avril, l’Allemagne légalise le cannabis récréatif. Même si, pour rester dans les clous de la législation communautaire, Berlin se contente d’autoriser la consommation et la détention d’une petite quantité de cannabis, sans instaurer de marché légal, c’est une révolution, à l’échelle européenne. D’ailleurs, ça bouge beaucoup sur le continent.

En Suisse, plusieurs villes expérimentent depuis quelques semaines la vente légale de ce produit ; un test pour savoir si on peut l’étendre à tout le pays. Expérimentation aussi aux Pays-Bas, où des municipalités tentent la production légale, pour alimenter les coffee-shops, ces échoppes légales qui jusqu’ici se fournissent, faute de mieux, sur le circuit illégal. Et en France ? Rien de tout cela. Il n’existe qu’un marché illégal, sur lequel fondent, depuis quelques jours, des opérations policières à grand spectacle, baptisées « Place nette XXL ».

« Opération pichenette »

On pressent déjà le résultat de ces manœuvres ponctuelles qui visent à faire du chiffre. Malgré les saisies, les interpellations et la fermeture de points de deal (soit le minimum attendu, vu le déploiement de forces), un échec global se profile. « Opération pichenette », moque le Syndicat de la magistrature, pour qui les interpellés sont « les prolétaires du trafic immédiatement remplacés ».

Pourquoi cet échec ? Parce que les réseaux se réorganisent pour rester en place ; ils ne peuvent être démantelés que par de longues enquêtes judiciaires. Et surtout, parce que le marché commande. Les clients sont là (quatre millions pour le cannabis en France), il faut les fournir. Un plan stup’ tombe, un autre le remplace. En ville, la livraison à domicile fonctionne de mieux en mieux. Cela s’appelle le commerce, et le capitalisme ; voilà la réalité, qu’on s’en réjouisse ou non.

Ce commerce gagnerait-il à devenir licite ? Sans doute, d’autres pays l’ont compris. En matière de gestion des drogues, la solution miracle n’existe pas. Il faut mesurer avantages et inconvénients en se basant sur des faits. Créer un marché régulé inverserait la situation : avec une substance légale, le marché noir perd de sa pertinence. Au Canada, qui a légalisé le cannabis en 2018, les trois quarts des consommateurs ont recours aux commerces légaux.

La prohibition, cet impensé

En France, le système reste cadenassé, malgré les morts qu’il provoque (49 homicides liés au narcotrafic en 2023 à Marseille). A l’origine de ces règlements de comptes, il y a le cadre général: la prohibition. Oui, la prohibition tue. Pourtant, cette donnée n’apparaît guère dans les médias ou les paroles publiques. Difficile de comprendre cet oubli. Peut-on évoquer le réchauffement climatique sans en rappeler l’origine, à savoir l’activité humaine? Impossible. C’est pourtant ce qui se passe pour les drogues illégales.

La prohibition est un impensé. Comment expliquer ce trou noir ? Sa disparition dans le récit collectif résulte d’une forme de lavage de cerveau, construit autour de la diabolisation du cannabis et d’autres stupéfiants. Dans les années 1920, les fumeurs de marijuana aux États-Unis étaient souvent des Mexicains ou des Noirs : le pouvoir politique a diabolisé le produit pour atteindre ces populations jugées menaçantes.

Dans les années 1970, Richard Nixon a, via sa « guerre à la drogue », stigmatisé ses opposants. Comment prendre au sérieux une jeunesse « gauchiste » défoncée au LSD ? Ronald Reagan a embrayé dans les années 1980, avec son « Non à la drogue » qui -déjà- ciblait les consommateurs.

« Ornière idéologique »

Comme leurs prédécesseurs, Gérald Darmanin et Emmanuel Macron se sont convertis à cette croisade, malgré l’inanité d’un système coûteux, inefficace et dangereux, dénoncé dans le rapport parlementaire de 2021 ou celui du Conseil économique, social et écologique en 2023. La prohibition ? Une « ornière idéologique », un système bloqué dans une « impasse sécuritaire et sanitaire qu’elle a elle-même créée », déplore la mission parlementaire. Qui suggère de la remplacer par une « légalisation régulée », unique manière de « rétablir la sécurité ».

Ces rapports ont été ignorés. Comme toute secte aveuglée par son culte, le cercle des prohibitionnistes refuse les faits. Rien ne doit remettre en cause sa croyance. La prohibition est une addiction ; comme pour toute addiction, le plus dur, c’est de l’admettre.

La prohibition, outil de récupération politique, permet de bomber le torse pour masquer l’impuissance sur d’autres sujets : on a détruit tant de points de deal, saisi tant de tonnes de marchandises, délivré tant d’amendes aux consommateurs… Autant de mesures face auxquelles le marché reste peu perturbé: on ne constate jusqu'ici ni pénurie de produits, ni augmentation des prix de vente.

Alcool et tabac: pourquoi ne pas interdire?

Pourquoi les deux drogues les plus mortelles, l'alcool (40 000 morts par an) et le tabac (75 000 morts), restent-elles légales, malgré leur impact sur la santé publique ? Simple : les interdire augmenterait les problèmes, en créant un marché illégal gouverné par la violence - ce qu'on subit avec le cannabis. Les États-Unis des années 1920-30 ont vite abandonné la prohibition de l’alcool. Les coûts (augmentation de la violence, infiltration de l’économie légale par les mafias) dépassaient les bénéfices escomptés (baisse de la consommation).

Aujourd’hui, la prohibition menace la sécurité de certains États. En Équateur, le président Daniel Nobo a dû, début janvier, confier à l’armée le soin de combattre les gangs qui contrôlent le trafic de cocaïne, car ils mettent en péril la stabilité du pays. Cette militarisation donne des résultats à court terme (avec des milliers d’arrestations qui font baisser le nombre d’homicides), mais elle ne peut constituer une solution au long cours. D’abord, elle stimule une course à l’armement dans laquelle les gangs se montrent souvent les plus forts, on le constate au Mexique. Et surtout, la prohibition reste la cause de ces menaces. Tant qu’on ne la remet pas en question, le problème demeure.