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Billet de blog 7 mars 2009

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MÉMOIRES D'UN PISSEUR D'ENCRE (XX)

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FEZ, MOSCOU, BERLIN ... DIJON

Ce qui se passe au niveau local et français est tout aussi vrai à l’étranger, et même dans des régions lointaines où l’on n’imaginerait pas que les dirigeants sont comme les hommes politiques français : démagogues et imbus de leur pouvoir. « C’est humain » disent leurs affidés quand on s’en étonne. À fortiori quand on est hôte d’un pays et qu’on s’imagine que le grand prince qui gouverne va tout faire pour recevoir vite et bien ces journalistes toujours encombrants et obtenir d’eux la meilleure image possible.
Le Maroc était en guerre contre le Front Polisario à la fin des années 70. Est-ce pour cela que le « club de la presse RMC-PQR » dont je faisais partie a dû attendre vingt-quatre heures à Fez le bon vouloir de sa Majesté ? Nous n’y perdîmes point, car le souk de cette ville est une curiosité à découvrir lentement, comme les montagnes qui l’entourent et comme le palais royal devant lequel se croisent de pauvres paysans juchés sur leur âne et de riches nababs au volant de Mercedes rapides aux vitres enfumées.
Nous étions dix, le lendemain, face au roi, surveillés depuis les galeries qui entourent la grande salle du palais par des gardes fusil à l’épaule et journalistes en joue… Hassan II était un roi très malin, et il passa son temps – entre deux cigarillos qu’il allumait avec un fin briquet en or – à nous persuader que l’état marocain dominait son sujet dans le Sahara occidental et que tout ce qui se disait sur les avancées du Front n’était que propagande. Un confrère, plus sceptique que d’autres, relança ses doutes. Alors le roi, appelant un général qui s’approcha après s’être longuement courbé à dix mètres de son souverain, dit au journaliste :
– Pour que vous n’ayez plus de doutes, le général vous emmènera demain matin en avion survoler la zone délicate, êtes-vous d’accord ?
– C’est-à-dire que, euh…
Le collègue, pris de court, affolé à l’idée de nous abandonner et de devoir rentrer seul à Paris avec un jour de retard, déclina ce qui, en tout état de cause, eut été pour tout autre une formidable occasion de scoop. Là-dessus, Sa Majesté nous offrit rafraîchissements et thé à la menthe, et après m’avoir demandé « comment se comportent les Marocains en Bourgogne », avisa le briquet que, galamment, lui tendait autre collègue – c’était un briquet à cinq sous, en plastique avec autocollant RMC – désireux de devancer la royale recherche de feu et manifesta son désir d’avoir ce « joli briquet ». Le confrère le lui confia bien généreusement : c’est alors que le roi, d’un mouvement vif, et en échange, lui glissa dans la main son joli briquet en or. Inutile d’ajouter que, ce soir-là, les fumeurs ont très souvent demandé du feu au journaliste de RMC.
Tout cela ne se raconte pas dans nos articles. Mais cette part de vécu fait la richesse des souvenirs au long des années qui passent. Je revois parfois, en m’endormant, ce policier qui m’avait sifflé puis quasiment arrêté sur la place Rouge à Moscou (c’était encore l’URSS) parce que je venais – crime de lèse-majesté – d’allumer une cigarette devant le tombeau de Lénine. Je ressens encore notre amertume, à Alma-Ata, dans l’hôtel du Parti où nous étions hébergés, de devoir renoncer à cacher avec nous une jeune kazakhe d’origine allemande qui voulait à tout prix fuir ce pays où sa famille avait été déportée à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Je souris en revoyant, à Rome, Mgr Decourtray en grande tenue épiscopale refuser les spaghetti que le tenancier de la pizzeria, voisine du Vatican, voulait à tout prix offrir à cette « excellenza » encombrée de ses croix pectorales et autres capa de soutane violette. Je songe au caviar avarié que, contre des poignées de dollar, ce chauffeur de taxi moscovite nous avait refilé sous une couverture, voire à ces « risques insensés » (aux dires de l’interprète) que j’avais pris en filmant l’immeuble du KGB, place de la Loubianka, depuis les vitres du bus et en dissimulant ma caméra sous mon imperméable. Je repense à la peur ressentie, sur la piste enneigée de l’aéroport de Varsovie, quand l’avion qui devait me ramener à Paris ne parvenait pas à décoller, les roues prises dans un verglas tenace.
Souvenirs de fierté, enfin. C’était au temps où se construisait, à Dijon, le fameux auditorium dont Rostropovitch me dirait plus tard qu’il était « un cadeau de Dieu » : rentrant d’un de mes nombreux séjours à Berlin, je me trouvais, dans l’avion de la Sabena, assis à côté d’une fraîche assistante qui me séparait de l’illustre chef d’orchestre et pianiste Daniel Barenboïm. M’entendant parler de Dijon avec sa compagne, le maestro délaissa le Berliner Morgenpost qu’il était en train de lire pour, se penchant vers moi, me demander dans un allemand impeccable :
– Ach, Dijon (je traduis), c’est bien là qu’on construit un superbe auditorium ?

Dommage que, depuis son inauguration, l’auditorium dijonnais n’ait encore jamais reçu Daniel Barenboïm…
À SUIVRE

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