Michel Huvet

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Billet de blog 16 février 2009

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MÉMOIRES D'UN PISSEUR D'ENCRE (XVII)

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CHAPITRE VI, suite

MORT DE L'INFO

Il faut que je l’avoue : ce qui a toujours compté le plus pour moi, en tant que journaliste, c’est l’épaisseur humaine, la fragilité des êtres rencontrés, leur densité spirituelle, les êtres les plus modestes et les plus défavorisés étant à l’évidence ceux qu’il fallait aider par l’information. Au-delà des dossiers, des réunions, des discours, ce sont ces personnes rencontrées dans les CAT ou les foyers d’accueil qui valent qu’on informe.
Au-delà des rendez-vous officiels, des marronniers dont se nourrit la presse quotidienne – Fêtes de la Vigne, Saint-Vincent tournante, vente des vins des hospices de Beaune ou de Nuits ; fêtes de l’oignon ou du charolais ; rentrées judiciaire, scolaire ou sportive ; fêtes patriotiques –, il y a encore place, pour peu que la volonté y préexiste, pour des initiatives journalistiques, des enquêtes ou des reportages insolites. Le tissu relationnel compte alors beaucoup, et les informateurs sont légion pourvu qu’on ait su les entretenir et, de temps en temps, les satisfaire.
Le cœur de la vie d’un Journal devrait être là : il l’est de moins en moins. Le « cœur de métier », comme on dit aujourd’hui, s’est déplacé et vous verrez que dans peu d’années, on vendra les rédactions et les journaux pour devenir des agences de communication, des loueurs de places de concert, des distributeurs d’encarts publicitaires. Le pli est pris depuis quelques années déjà et je devine déjà la tête que feront quelques lecteurs des années 2050, s’ils tombent par le plus grand des hasards sur ces lignes : « C’était quoi, ce qu’il appelle l’information ? ». Le mot « information » sera devenu aussi désuet que « cocher », « relais de poste » ou « arbalétrier ». Le journal lui-même, s’il existe encore, sera livré par Internet, sorte de recueil de blogs et de fac-simile des « vieux » numéros des années 1950 ou 1990, histoire de cultiver une feinte nostalgie. Les fossoyeurs de l’information sont aujourd’hui à l’œuvre et ils dînent en ville chaque soir avec les croque-morts des cabinets de publicité et des représentants de commerce, ils s’acoquinent avec les puissants (peu importe la gauche ou la droite, c’est le pouvoir qui compte). Ils font tomber dans les fossés de l’Histoire des pans entiers de la réflexion humaine. Ils gagnent de l’argent et fument des gros cigares en rigolant grassement de la stupidité de ceux qui gobent ce qu’ils leur vendent.
Au moins, le « singe qui fume la pipe » avait l’immense mérite d’être réel. Il offrait une photo dite de « remplissage » mais le singe et la pipe étaient réels et non conceptualisés. Quand on photographiait les premiers communiants ou les arbres de Noël dans les entreprises, on faisait certes du marketing promotionnel (achetez le journal ,vous êtes dedans) mais la réalité extérieure était encore au rendez-vous. La « réclame » de jadis ne se prenait pas pour l’information. L’information, aujourd’hui, se prend pour de la « réclame ». Amen.
À SUIVRE

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