Michel Huvet

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Billet de blog 21 mai 2009

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NOCTURNE (SCÈNE 3)

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Pièce en un acte et trois scènes

III

(La même salle d'attente de gare qu'au début. L'aube va paraître. Il ne pleut plus. Il va même faire beau, frais et clair. Quelques oiseaux pépient au loin.
Julie arrive sur le quai, impatiente, regarde sa montre, soupire, se retourne pour attendre Henri qui arrive essoufflé
).
HENRI.– Je ne veux pas rentrer. Je veux rester.
JULIE.– Je croyais que tu avais beaucoup de travail, aujourd'hui...
HENRI.– J'avais beaucoup de travail, oui... mais c'est très loin, tout ça, maintenant, et tu es là...
JULIE.– Plus pour longtemps. L'heure est venue. Tu as téléphoné chez toi, on va venir te chercher. Moi, je t'ai volé ton temps, mon pauvre ami, et tu n'as rien compris, hélas ...
HENRI.– Zaubermädchen, s'il te plaît...
JULIE.– Non, ça suffit !
HENRI.– Mais ...
JULIE (sèchement).– Il n'y a pas de mais, il n'y a pas de fille enchantée. (Elle serre les poings). Mais pourquoi êtes-vous tous semblables, mesquins, pourquoi cet entêtement à ne rien voir, à ne rien comprendre ? J'aimerais tant, parfois, que tout aille plus vite, c'est toujours trop long. (Elle se calme, regarde loin dans le ciel) L'aube est longue à fleurir.
HENRI.– J'ai mal, je suis fatigué.
JULIE (avec douceur).– Je sais. Un peu de patience, tu verras...
HENRI.– On vient, qu'est-ce que je vais faire .
(Julie s'éloigne.
Entre Suzanne.
Henri ne bouge pas.
Les deux femmes se croisent sans se voir
).
SUZANNE.– Voyons, Henri, c'est moi... Tu dors ? Pourquoi donc as-tu pris ce train si matinal ? Ah ! J'en ai eu le pressentiment. Allons viens maintenant...
HENRI.– Suzanne !
SUZANNE.– Oui ?
(Elle l'aide à se lever. Il titube, puis soudain bondit, attrape Julie par la main et la ramène vers Suzanne).
HENRI.– Tu la vois, hein, maintenant ? Tu ne peux pas ne pas la voir...
SUZANNE.– Mais qui ? Tu délires ou quoi ?
HENRI.– Sûrement. (il lâche Julie). Écoute bien ce que je vais te dire, ce qui s'est passé, ce que j'ai vu, ce que j'ai fait cette nuit, il faut que tu le saches et ...
JULIE (le coupant).– Non !
(Elle est vers la porte, un revolver à la main.
Elle tire sans aucun bruit
).
SUZANNE (après un temps).– Eh ! bien, j'attends...
HENRI.– Rien. Tu ne peux pas comprendre.
(Il s'affaisse et meurt).
SUZANNE.– Henri, Henri, mon Dieu mais... (Elle se précipite vers Henri, tente de le relever. Elle ne voit toujours pas Julie). Henri, tu ne vas pas... ?
JULIE.– Si, Madame? sauf votre respect, c'était l'heure.
(Elle jette le revolver.
Suzanne la regarde et la voit enfin.
Julie a l'air fatiguée et va lentement s'asseoir, ouvre son sac et commence calmement à rectifier son maquillage
).
SUZANNE.– D'où sort-elle, celle-là ? (Elle s'assied de l'autre côté, anéantie). Il ... il est mort ?
JULIE (continuant son travail).– Sans doute, si c'est ainsi que vous nommez l'événement. Mort. Froid. Parti. feu. Chimère. Défunt. Et moi aussi j'ai froid et je voudrais bien me reposer. (Un temps). Belle fin, tout de même, vous pourrez le dire. Bien entendu, vous ne me croyez pas, vous sortez les gros canons de votre raison pour tirer de gros boulets noirs sur les reflets du mystère. Dérisoire !... Ne faîtes pas ces yeux-là, il y a très longtemps que tout est ainsi, Madame, et c'est pareil pour tous. Permettez-moi de prendre congé.
SUZANNE (se redresse en même temps que Julie).– Vous l'avez tué. Au secours ! J'appelle la police, vous ne vous en tirerez pas comme ça, criminelle ! (Elle court vers la porte pour l'empêcher de sortir). Asseyez-vous et ne bougez plus ! (Elle attrape le revolver). Et si je tirais moi aussi, hein ? Vous faîtes moins la maligne, maintenant, ma douce...
JULIE.– Ma douce, ma douce ! ... (Elle va vers la baie vitrée. Musique paradisiaque, Fauré par exemple). Oh ! comme tout est bien dit. (Un temps). Comme il va faire beau aujourd'hui ! Il n'y aura même pas d'orage dans l'air. La délivrance a toujours un parfum mêlé de crépuscule et de rosée, un goût de cendres et de jasmin.
SUZANNE.– Arrêtez-vous !
JULIE (se retourne vers elle).– M'arrêter ? Si vous saviez ce que vous dîtes ! ...
(Elle part d'un doux éclat de rire et disparaît dans un rayon du soleil levant et un arpège de harpe.
Suzanne tombe à genoux en larmes auprès du corps d'Henri.
Les oiseaux gazouillent. Un train siffle au loin et disparaît
).
FIN

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