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Billet de blog 31 janvier 2009

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MÉMOIRES D'UN PISSEUR D'ENCRE (XI)

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CHAPITRE IV, suite

QUAND ON A LA BOURGOGNE, ON LA GARDE

Connaissant désormais mes larges marges de manœuvre, j’allai me jeter dans l’antre du conseil régional, à peine et mal remis des récentes élections et notamment celle de son président, Jean-Pierre Soisson, qui avait volé d’une voix la place depuis longtemps préparée, investie et chauffée pour Dominique Perben. Le député-maire d’Auxerre était alors à gauche, pardon, avait accepté l’ouverture proposée par François Mitterrand, et régnait sur une majorité socialo-communiste dont le pouvoir national était singulièrement émoussé. En tout cas, régnaient dans l’hémicycle du boulevard de la Trémouille de quoi éduquer un journaliste politique, les mœurs de la IV° République étant ressurgies du passé dans cette assemblée disparate où l’ancien président Marcel Lucotte se demandait encore qui l’avait trahi pour que la présidence lui passât ainsi sous le nez.
Jean-Pierre Soisson n’avait pas mis longtemps à repérer qui j’étais. Au lendemain de ma nomination, le téléphone avait sonné sur mon bureau. C’était le ministère de l’Agriculture par la voix d’une accorte secrétaire :
– Ne quittez pas, je vous passe le ministre qui voudrait vous parler.
– …
– Allo, Michel ? (il connaissait même mon prénom… mais nous n’avions jamais été présentés)
– Euh… oui, monsieur le Ministre.
– Il faut qu’on se rencontre. Dînons un de ces soirs à Dijon, d’accord ?
– Euh … oui, monsieur le Ministre.
Le tour était joué. J’étais fait comme un rat. Le diable d’homme réussit d’ailleurs d’autant mieux à me séduire qu’il s’est avéré un homme de culture et que, lui et moi, nous avons plus souvent parlé de l’histoire des Ducs de Bourgogne que de la politique régionale ou de son apport à l’apprentissage quand il était ministre d’État chargé du Travail. Avec Robert Poujade, il était sans doute à cette époque, et depuis l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République, le grand homme politique de la Bourgogne. Il avait, en tout cas, compris qu’à défaut d’être une grande région – elle est coincée entre les deux plus grosses régions de France et si son territoire est vaste elle n’en est que trop peu peuplée (à peine 2 millions d’habitants) – la Bourgogne ne pouvait exister qu’avec, à sa tête, un homme politique d’envergure. Et qu’il était celui-là.
Les réalités allaient néanmoins le rattraper. Les socialistes bon teint, avec à leur tête l’ancien président régional et député de Saône-et-Loire André Billardon, faisaient grise mine devant un président qui ne pouvait faire voter son budget qu’avec les voix de ce maudit Front National dont on allait reparler beaucoup en 1998. Bref, la situation en Bourgogne valait à François Mitterrand des conseils des ministres acides et amers, le ministre de l’Agriculture étant vilipendé par le ministre de l’Énergie, le même André Billardon. Alors, puisqu’à Dijon la situation était insoutenable, Jean-Pierre Soisson filait à Bruxelles négocier la PAC avec les Allemands. Et le ministre de l’Énergie tâchait de comprendre comment le colza pourrait un jour remplacer l’essence.
Le conseil régional vivota ainsi de mois en mois jusqu’à l’explosion : la démission de Soisson. Même si François Mitterrand lui avait dit que « quand on a la Bourgogne, on la garde », le maire d’Auxerre sentait bien que son avenir électoral était conditionné par cette vilaine « piqûre » que le FN lui infligeait alors que se profilait une échéance présidentielle dont il se doutait qu’elle enverrait la droite à l’Élysée… Or justement, en 1995, trois ou quatre mois avant le vote des Français, Jean-Pierre Soisson annonça une conférence de presse à Paris au cours de laquelle il dirait qui il avait choisi d’Édouard Balladur ou de Jacques Chirac. Sur Europe 1, Serge July avait déclaré que « lorsque Jean-Pierre Soisson se serait prononcé, les jeux seraient faits ». J’avais donc hâte de connaître le choix du ministre, si possible avant la déclaration parisienne. Huit jours avant – belle opportunité –, je me trouvais invité à dîner à l’hôtel Ribière d’Auxerre avec plusieurs confrères et membres du staff de « France unie » à Paris. Je lançai des appels discrets au ministre pour qu’il me dise son choix : il s’y refusa, me disant qu’il s’était engagé à tenir le secret jusqu’à sa conférence de presse. Mais le diable d’homme avait plus d’un tour dans son sac. Au moment de passer à table, s’adressant à la dizaine de convives, il s’écria : « Je vous ai fait préparer un plat qui, je l’espère, vous satisfera : de la tête de veau ». Puis il me fit un clin d’œil et s’assit.
J’ai su ainsi, avant tout le monde et sans qu’il me l’ait vraiment dit, que … Jacques Chirac serait le prochain président de la République !
À SUIVRE

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