Au moment de mettre un terme à cette rubrique qui avait pour objectif de répondre à la question "Qu'est-ce que le capital ?", Thomas Piketty effectue une pirouette qui en dit long sur la réalité des ses convictions en la matière :
"Le capital n'est pas un concept immuable : il reflète l'état de développement et les rapports sociaux qui régissent une société donnée." (page 84)
C'est dire que la définition même du capital pourrait n'être qu'un petit morceau de l'idéologie dominante : c'est entièrement vrai de celle que souhaite nous vendre Thomas Piketty pour une dépense intellectuelle véritablement minime.
Et nous voici tout soudainement projetés dans la rubrique suivante : "Capital et patrimoine". C'est à cet endroit en effet que le "capital" selon Thomas Piketty rencontre sa vraie identité :
"Pour simplifier l'exposition, nous utiliserons les mots « capital » et « patrimoine » de façon interchangeable, comme des synonymes parfaits." (page 84)
Dommage... Nous étions venus à la rencontre du "Capital au XXIème siècle"... Nous voici donc dans le "Patrimoine au XXIème siècle". Mais nous n'avons pas trop à nous plaindre : la production, c'est toujours très rébarbatif, y compris pour la finance internationale, qui laisse cela aux entrepreneurs et aux cadres supérieurs des entreprises qu'elle contrôle, tandis que, comme Thomas Piketty, elle regarde surtout l'évolution des actions, c'est-à-dire d'une part prépondérante de son propre patrimoine, son gâteau tout à elle...
Or, chez Thomas Piketty aussi, un patrimoine, cela peut "rendre". Cela doit "rendre"... Nul ne sait à quel titre. Car, dans la réalité concrète, un gâteau n'a guère tendance à s'accroître de lui-même... Mais un patrimoine à l'intérieur duquel "travaille" anonymement du capital, cela procure des "revenus"... En ce sens-là, l'argent fait de l'argent... Ce à quoi ne pouvaient croire ni Adam Smith, ni David Ricardo, ni Karl Marx. Mais, qu'importe la science économique. Monsieur Piketty-tout-le-monde veut que son patrimoine lui vaille des "revenus". Notre patrimoine national nous rendra donc un revenu national... "Tous ensemble, Tous ensemble !"
Notre auteur sait cependant se dégager du panneau qu'il tend à autrui : il tient à nous dire qu'il n'en est pas la dupe :
"Nous inclurons donc toutes ces formes de richesses dans le capital - ce qui bien sûr ne nous dispensera pas de nous intéresser de près aux origines des patrimoines, et en particulier à la frontière entre ce qui provient de l'accumulation et de l'appropriation." (page 85)
Accumulation du... capital, et appropriation de... la rente. Refaisons un petit tour du côté des fourneaux... Aux petits citadins, par exemple, il ne faudrait pas oublier de montrer, de temps à autre, quelques vaches dans les prés ou, de façon plus réaliste - tant l'odeur s'y trouve bien imitée - au salon de l'Agriculture : le lait, la crème et le bifteck n'en seront que meilleurs pour eux :
"Selon d'autres définitions, il faudrait réserver le mot « capital » aux éléments de patrimoine directement utilisés dans le processus de production."
Une vache, pour du lait, pour sa viande, etc...
Mais Thomas Piketty préfère un petit quelque chose qui n'ait pas si mauvaise odeur, et qui soit beaucoup plus manipulable que cette pauvre vache dont même un vrai petit citadin ne confondra pas toujours l'apparence avec celle d'un dromadaire... On aura pourtant mis en garde l'économiste contre ses quelques enfantillages :
"Par exemple, il faudrait considérer l'or comme un élément de patrimoine, et non comme un élément de capital, car l'or ne servirait à rien d'autre que comme une pure réserve de valeur."
Certes, même dans un coffre spécialement aménagé pour elle, une vache, etc. On imagine la suite. Le platine, c'est pareil... Depuis Marikana, nous savons qu'on y saigne parfois à mort, surtout quand on veut en voir la production de trop près.
Finalement, rien ne vaut un vrai "patrimoine" : du propre, rien que du très propre. De l'or, et prudemment coffré, par exemple... Comme une part de gâteau soigneusement réfrigérée. Non pas l'or qui va se chercher dans la mine... mais l'or déjà là, dont il est ensuite possible d'imaginer une éventuelle intervention dans un processus subséquent de production auquel, en réalité, il n'a déjà fait qu'échapper depuis longtemps et pratiquement pour toujours. Ce dont Thomas Piketty prétend se soucier comme d'une guigne tant il veut pouvoir mélanger capital et patrimoine :
"Là encore, une telle exclusion ne nous semble ni praticable - l'or est parfois utilisé comme facteur de production, dans la joaïllerie comme dans l'électronique ou les nanotechnologies - ni souhaitable." (page 85)
"Ni souhaitable" pour qui veut définitivement maquiller l'exploitation.