Qu'en termes de patrimoine, le secteur public ne soit aujourd'hui qu'accessoire en face du patrimoine privé, c'est ce que démontre cette phrase de Thomas Piketty à laquelle il nous est possible d'adhérer pour autant que celui-ci ne vient pas y mêler sa façon plus que rocambolesque de confondre patrimoines et capitaux :
"Actuellement, le patrimoine public est extrêmement faible dans la plupart des pays développés (voire négatif, quand les dettes publiques dépassent les actifs publics), et nous verrons que le patrimoine privé représente un peu partout la quasi-totalité du patrimoine national." (page 87)
Passons à la suite. Après avoir refusé de sacrifier à la dangereuse notion de "capital humain", Thomas Piketty en vient à quelque chose de spécifiquement différent mais dont l'évaluation reste une affaire plus que délicate. Dans le capital, dont on peut dire qu'une part est "physique", écrit-il...
"Nous incluons également le capital « immatériel », par exemple sous la forme des brevets et autres droits de la propriété intellectuelle, qui sont comptés soit comme actifs non financiers (si des individus détiennent directement des brevets), soit comme actifs financiers, lorsque des personnes privées détiennent des actions dans des sociétés détenant elles-mêmes des brevets, ce qui est le cas le plus souvent." (page 87)
Ici, il n'y aurait rien à redire sur l'intégration des brevets dans la sphère du capital, s'il s'agissait de les faire figurer dans les coûts de production qui déterminent les conditions de mise en oeuvre de la rotation du capital en tant qu'il est producteur de plus-value. Mais Thomas Piketty nous parle d'"actifs"... C'est-à-dire de valeur "patrimoniale". Nous sommes donc toujours dans le bafouillage que nous commençons à trop bien connaître.
La suite le confirme :
"Plus généralement, de multiples formes de capital immatériel sont prises en compte à travers la capitalisation boursière des sociétés. Par exemple, la valeur de marché d'une société dépend souvent de sa réputation et de celle de ses marques, de ses systèmes d'information et de ses modes d'organisation, des investissements matériels et immatériels réalisés pour accroître la visibilité et l'attractivité de ses produits et de ses services, de ses dépenses de recherche et de développement, etc." (page 87)
Nous le voyons : nous sommes, ici aussi, subrepticement placés du côté du "marché" où se décide la valeur vénale du patrimoine que représente l'entreprise : il ne s'agit donc plus du capital lui-même, et des conditions de sa mise en valeur, mais du seul prix de sa revente. L'affaire se passe entre propriétaires, et non plus entre le capital et le travail de production.
Patrimoine ? Thomas Piketty en convient :
"Tout cela est pris en compte dans le prix des actions et autres parts de sociétés, et donc dans la valeur du patrimoine national." (page 87)
Mais c'est justement sur ce fondement du seul "patrimoine" qu'il a décidé d'établir sa notion plus que fumeuse de ce qu'est véritablement le "capital".