D’avance, la France Libre s’offre aux Américains
Au moment où nous en sommes, les États-Unis d’Amérique ne sont pas encore entrés officiellement dans la guerre. Mais leur intervention est, bien sûr, déjà en cours de préparation. Momentanément, Charles De Gaulle va devoir être beaucoup plus prudent et beaucoup plus mesuré, si possible. À leurs yeux, tout au moins.
Le 5 juin 1941, il a remis un mémorandum au ministre d’État des États-Unis au Caire, M. Kirk. Il y développe son analyse des possibles bases aériennes qui pourraient s’offrir, de par l’Europe et l’Afrique, à l’aviation américaine dans le cadre de la guerre en cours et de ses prolongements à venir. Comme on le devine, tout est centré sur sa personne et sur les intérêts qui sont les siens… Il ne semble d’ailleurs pas s’agir d’un choix. C’est une contrainte qu’il subit. Il ne voit rien de ce dont il n’est pas le centre. Qui pourrait lui en vouloir ? Surtout pas celles et ceux qui ont prétendu nous le donner pour le centre de l’Histoire de France du XXème siècle et de ses suites au moins immédiates…
Il commence son exposé par la perfide Albion. Elle ne pourra certainement pas s’en tirer tout à son avantage. Cependant…
"À première vue, le territoire de la Grande-Bretagne pourrait sembler adéquat puisque dans l’ordre aérien les centres vitaux de l’Europe sont à portée relativement proche de l’Angleterre." (Lettres, page 350)
"Mais l’Angleterre n’offre pas, en réalité, des conditions favorables au déploiement de la puissance militaire proprement américaine." (page 350)
Arrivés à ce point, nous n’avons encore droit qu’à une affirmation sans preuves. Celles-ci ne viennent qu’ensuite, elles sont de trois ordres : certaines différences de tempérament chez les Anglais et les Américains ; un territoire britannique trop exigu pour une telle cohabitation, et mal situé stratégiquement ; des communications précaires avec les États-Unis, du fait de l’ennemi. Albion, quoi ! Rien à en tirer. Par conséquent…
"En vérité c’est en Afrique que l’Amérique doit normalement choisir la zone dans laquelle elle installera des bases de départ. L’Afrique appartient à beaucoup, autant dire à tout le monde. L’espace y est illimité." (Idem, page 351)
L’Afrique du Nord aurait pu être l’endroit idéal :
"Mais il est maintenant trop tard." (Idem, page 351)
Les Allemands contrôlent l’ensemble…
L’Afrique Occidentale Française, idem, et pour des raisons de sécurité défectueuse encore, l’Égypte.
Tout cela étant balayé, ainsi qu’on le voit, d’un simple revers de la main, nous arrivons, comme de juste, chez… De Gaulle qu’entourent, comme un bel habit, quelques territoires qui ne sont pas à lui, mais qui rayonnent de sa présence en leur centre :
"C’est donc en Afrique centrale qu’on est amené à envisager le déploiement initial des bases d’action militaire de l’Amérique. Le Nigeria britannique, le bloc des colonies françaises libres : Tchad, Cameroun, Gabon, Congo, Oubangui, le Soudan anglo-égytien, l’Érythrée et l’Abyssinie, constituent la zone normale de départ des futures et vastes entreprises interalliées en Afrique, entreprises dont la puissance américaine constituera la partie principale. Le Congo belge et les territoires britanniques : Kenya, Ouganda, Tanganyika, qui disposent de bonnes communications avec l’Afrique du Sud, compléteraient cette zone en profondeur." (Lettres, pages 351-352)
Les Américains ne devraient donc pas hésiter. Quant à De Gaulle, il n’hésite pas, lui-même, une seule seconde :
"La France Libre est prête à accueillir sur les territoires d’Afrique qu’elle administre pour le compte de la France, toute installation que les États-Unis d’Amérique désireraient y placer en vue de leur intervention militaire éventuelle dans la guerre." (Idem, page 352)