Des buts de guerre incertains
De fait, la seconde guerre mondiale, telle qu'elle a été conduite par les Britanniques d'abord, pose un certain nombre de questions. Le fait principal est qu'il s'agissait de faire face à un Hitler qui n'avait pas voulu se laisser convaincre par la « drôle de guerre » de s'en tenir à l'agression qu'on espérait de lui, et pour laquelle on lui avait offert depuis 1933 toutes les facilités possibles, contre la seule Union soviétique.
Mussolini étant embarqué lui aussi, le fascisme se trouvait ajouté au nazisme. Mais que dire de la question coloniale ? La guerre se faisait-elle également pour libérer les pays dominés par l'impérialisme occidental ?
Dans ses Mémoires, le colonel Passy, patron des services secrets de la France Libre, apporte un document précieux dont il ne précise malheureusement pas la provenance, mais qui date des lendemains de l'échec de Dakar : il répond à la question de savoir s'il est possible de "remonétiser De Gaulle" sur la base de ce que "devraient être" les buts de guerre de la Grande-Bretagne...
En effet, pour certains Britanniques :
"La difficulté intérieure réside dans le fait que le gouvernement de Sa Majesté est déjà accusé par une vaste section, toujours croissante, de l'opinion publique de refuser d'exposer clairement et une fois pour toutes ses buts de guerre, parce qu'en fait il ne lutte pour rien d'autre que pour la conservation de l'ordre naturel dans le Royaume et dans l'Empire." (Colonel Passy, Mémoires, Éditions Odile Jacob, 2000, page 103)
Monarchie constitutionnelle à l'intérieur, impérialisme à l'extérieur... Voilà tout.
Or, les opposants qui s'expriment ici n'ont rien de dangereux révolutionnaires. Lisons-les :
"Ce que nous demandons au gouvernement, c'est de dire qu'il lutte pour briser la mainmise fasciste sur l'Europe et écraser la machine de guerre fasciste." (Idem, page 104)
Ceci est déjà très aventuré... Puisque Churchill venait d'avoir toutes les peines du monde pour ne pas laisser le gouvernement britannique glisser tout doucement vers une réconciliation plus ou moins avouée avec un Hitler qui, après avoir englouti la France, ne songeait plus qu'à frapper mortellement l'U.R.S.S.
Mais nos auteurs poussent plus loin encore leur raisonnement :
"Lorsque ce but sera atteint, nous inviterons les peuples qui seront libérés avec notre aide à se joindre à nous pour une union d'États, basée sur le principe de Liberté, Égalité, Fraternité." (page 104)
Ce qui, pour les Français(e)s, est bien la moindre des choses, paraît-il... Et De Gaulle, qu'en pense-t-il, lui? Mais poursuivons :
"L'aspect européen de cette doctrine est évident. En affaires coloniales, elle entraîne une politique de réformes et d'émancipation sous un contrôle international." (page 104)
Avant d'aller plus loin, nous devons retenir ce fait remarquable, qu'un tel document ait pu atteindre l'entourage du général De Gaulle à ce moment précis où celui-ci aura été vivement tenté par le suicide... Déprime bien vite surmontée, et aussitôt suivie de toute une série d'assauts sanglants visant à restaurer l'Empire colonial, justement.