Des témoins qui s'éclipsent au dernier moment, des rapports qui restent muets...
L'implosion de l'U.R.S.S. a suffisamment ravalé la Bulgarie du côté de la mendicité internationale, pour permettre à Axel Poniatowski, rapporteur de la Commission d'enquête, de trouver une première excuse à l'inaction de ce pays dans l'affaire des infirmières emprisonnées :
"En février 1999, une importante communauté bulgare travaillait en Libye lorsque vingt-trois de ses membres ont été arrêtés. Les travailleurs bulgares ont cependant continué à y vivre et à y exercer leur métier pendant la phase de détention des infirmières et du médecin. Leur présence sur le sol libyen explique la prudence initiale des autorités de Sofia dans les jours, puis dans les mois qui ont suivi les arrestations."
Il n'y aurait certes pas eu à s'étonner de voir un pays intervenir pour défendre ses nationaux, quels qu'aient pu être leurs torts, mais cela n'aurait pas pu signifier, à soi seul, qu'ils n'en avaient eu aucun. La justice libyenne était là pour en juger. La suite du propos d'Axel Poniatowski ne paraît pas dire autre chose :
"Le maintien en détention des cinq infirmières a été considéré dans un premier temps par le Premier ministre M. Kostov comme une affaire devant être suivie avec la plus grande discrétion par le ministère des affaires étrangères, et à ne pas ébruiter."
C'est qu'aux yeux du gouvernement bulgare, la culpabilité n'était peut-être pas aussi peu démontrée que le rapporteur voudrait nous le laisser croire. La suite de son propos va dans le même sens :
"Lors de leur audition, les infirmières et le médecin ont reproché à leurs autorités leur passivité dans les premiers mois de cette affaire. Celles-ci n’ont effectivement porté un intérêt à leur sort qu’à la mise en place du gouvernement de M. Simeon de Saxe-Cobourg en 2001."
Il semble même que les Bulgares ne se seront pas émus de la plainte portée par les infirmières le 2 juin 2000 pour les tortures qui leur auraient été infligées durant l’enquête, c'est-à-dire à l'intérieur de l'année et demie qui a précédé cette date...
Axel enfonce le clou :
"La première visite d’une autorité bulgare – le ministre des affaires étrangères de l’époque, M. Solomon Passy – a eu lieu en décembre 2001, soit 34 mois après les arrestations."
Vient ensuite une explication tout à fait improbable :
"À la décharge des autorités bulgares, la Libye n’a pas informé l’ambassade de Bulgarie à Tripoli des arrestations lorsqu’elles se sont produites."
L'ambassade pouvait-elle ignorer la terrible épidémie née dans l'hôpital de Benghazi, et la nécessité d'en expliquer la naissance et le développement ? A-t-elle pu ignorer l'arrestation de quelques-unes de ses ressortissantes, au-delà de quelques jours ?... Le sieur Poniatowski est bien léger, s'il croit à ce qui lui aura été raconté sur ce ton.
Mais la suite est encore un peu plus tendancieuse, si possible :
"Il était aussi difficile pour la Bulgarie d’évaluer l’ampleur qu’allait prendre cet événement et de comprendre que ses ressortissantes allaient en fait être les otages d’un jeu de politique intérieure libyenne."
D'un jeu de politique extérieure franco-européenne, plutôt...
Mais, pour finir, Axel Poniatowski est bien obligé d'y revenir :
"Par ailleurs, il faut garder à l’esprit que la Bulgarie souffrait en 1999 d’un certain isolement international, n’étant pas encore membre de l’Union européenne, et ne disposait pas des mêmes moyens diplomatiques que les principales puissances occidentales."
C'est donc lorsque la Bulgarie est prête à être absorbée par l'économie européenne, qu'elle peut entrer comme un instrument dans la politique étrangère européenne en général, mais plus particulièrement, sitôt qu'il s'agit pour cet ex-pays de l'Est de servir de tête de pont dans un pays, la Libye de Muammar Gaddhafi, qui gêne énormément, parmi les intérêts impérialistes occidentaux, ceux d'une France qui, précisément en Afrique du Nord, se sent repousser des ailes pour une recolonisation par les armes.
Faible Bulgarie en tout cas, puisque, entre décembre 2001 et décembre 2006, Axel Poniatowki dénombre 6 visites de certains de ses plus hauts responsables en Libye, et finit par nous dire que tout cela n'aurait servi à rien, s'il n'y avait eu pour finir l'intervention d'un véritable deus ex machina, dont il reste à voir d'où il sera venu :
"Au fil des ans, les Bulgares ressentaient une certaine lassitude et nourrissaient un sentiment d’impuissance sur ce dossier, si l’on en croit les propos de M. Étienne de Poncins, ambassadeur de France à Sofia: « La joie a été d’autant plus forte que le peuple bulgare nourrissait un sentiment d’impuissance depuis le commencement de cette affaire, il y a huit ans. Tout semblait avoir été tenté, vainement, quelles que soient les alternances politiques ».
Tout ceci est, semble-t-il aux yeux des responsables bulgares, un peu trop beau pour être vrai :
"La commission d’enquête n’a pu malheureusement disposer d’informations plus précises sur l’action des autorités bulgares. M. Solomon Passy, ancien ministre des affaires étrangères, après avoir accepté de livrer son témoignage, s’est vu dans l’obligation d’annuler sa venue, retenu à Sofia par un impératif. La commission n’a pas non plus pu entendre l’actuel ministre des affaires étrangères bulgare, M. Ivaïlo Kalfine, également invité à s’exprimer."
Ces gens ne pouvaient pas ignorer qu'ils n'avaient été qu'un jouet entre les mains de la diplomatie européenne, sans compter que l'innocence des infirmières devait leur paraître plus que douteuse... Mais c'est une autre affaire.
Pour finir sur cette implication, malgré lui, de l'État bulgare dans cette affaire excessivement louche et sur les enjeux d'un empoisonnement délibéré de quelques centaines d'enfants libyens dans cette ville de Benghazi objet de tous les soins des puissances occidentales depuis longtemps, laissons, sans commentaire, le dernier mot à Axel Poniatowski, qui en dit déjà presque trop :
"Il n’a donc pas été possible à votre rapporteur de vérifier certaines informations, comme les contacts entre services secrets bulgares et libyens, ou d’analyser le rôle joué par une équipe bulgare conduite par le vice-ministre des affaires étrangères, présente en Libye dans les jours qui ont précédé le dénouement de cette affaire."
Cela ressemble tellement à ce qui s'est produit avec cette curieuse mission d'information venue enquêter, au nom de l'Organisation mondiale de la santé, sur le processus de naissance et de développement de l'épidémie, et dont le rapport n'aura été communiqué à personne...
(référence permanente à propos de la Libye de Muammar Gaddhafi : http://www.francoisepetitdemange.sitew.fr)