Un Empire sans limites
Tandis qu’il s’apprêtait à perpétrer ce qui allait devenir le crime de Dakar, De Gaulle mettait au point un autre coup tordu dont l’amiral Muselier allait être la principale victime.
En transit à Libreville, au Gabon, il télégraphie à celui-ci, dès le 18 septembre 1940 :
"Le moment me paraît venu de préparer notre mainmise sur les colonies françaises d’Amérique." (Lettres, page 115)
Simultanément, il engage une manœuvre dont le général Catroux mettra quelques années à payer le prix. En voici le cadre général, ainsi qu’il le lui fait connaître le 22 septembre 1940 :
"Cependant, mon intention est d’ouvrir dans le plus bref délai possible l’affaire de l’Afrique du Nord et de vous y voir exercer les fonctions de haut-commissaire avec les pouvoirs civils et militaires les plus étendus. C’est vous dire que, dans mon esprit, votre rôle au Levant est un rôle de déclenchement et de mise en train qui pourrait être bientôt interrompu." (Lettres, pages 119-120)
Tout au contraire, comme nous allons le voir, grâce à l’invraisemblable impéritie de Charles De Gaulle, le général Catroux va se trouver empêtré dans une très sale affaire au Levant (Syrie et Liban) qui lui interdira pendant trois années au moins de faire un pas de plus… Nous n’assisterons donc au déclenchement de rien du tout, sinon de l’enterrement d’un fantasme d’un général décidément bon à rien.
Revenons aux colonies françaises d’Amérique, c’est-à-dire à des terres qui concernent tout particulièrement les États-Unis. Pour bien préparer son coup de Jarnac, De Gaulle remet une note au consul de ce pays à Léopoldville, capitale du Congo belge. Il y annonce la création prochaine (ce sera fait dès le lendemain) d’un Conseil de défense de l’Empire français qui compte, parmi ses principaux membres, le "vice-amiral Muselier, commandant des Forces navales françaises libres".
Il est ensuite bien précisé que :
"Ce Conseil exercera donc tous les pouvoirs qui appartenaient au dernier gouvernement français constitutionnel et libre dans les territoires français qui refusent de se soumettre à l’armistice, pouvoirs que ses membres y détiennent déjà en fait."
Nous passons donc, censément, d’une situation de fait à une situation de droit, et qui touche directement à la souveraineté française.
Dans un paragraphe précédent, il est encore précisé que :
"Le général De Gaulle dispose de forces navales militaires, aériennes exclusivement françaises, suffisantes pour assurer la protection des Antilles, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de la Guyane, en coopération avec la flotte américaine." (Lettres, page 151)
Qu’on se rassure, le Général ne prétend pas aller faire la guerre à Hitler ou à Mussolini en passant par les Amériques. Cette guerre-là, pauvrement européenne, ne l’intéresse pas du tout : elle est gagnée d’avance, sans lui, quoi qu’il arrive… Il ne prétend pas non plus aller attaquer les Japonais à lui tout seul (Pearl Harbour est pour dans plus d’un an). Non, il veut reprendre à Vichy ce qui ne peut être qu’à lui, De Gaulle, et, si nécessaire, réaliser l’opération à la barbe des États-Unis.
Laissons à Muselier le temps de se rendre sur place…