Ce qu’en pensait Pierre Cot, l’ami de Jean Moulin
Très significativement, l’analyse d’ensemble du comportement politique du général De Gaulle se trouve développée dans la lettre que Pierre Cot a adressée le 28 juillet 1941, depuis les États-Unis, au journaliste socialiste Louis Lévy qui intervenait fréquemment à la radio de Londres :
"Je suis persuadé que le général De Gaulle ne se rend même pas compte qu’il est fasciste ; mais je suis sûr qu’il l’est." (Eric Roussel, Charles De Gaulle, Gallimard 2002, page 239)
Ce point est essentiel : De Gaulle a très bien pu ne jamais avoir la moindre conscience de son enfermement en lui-même. C’était sa force et sa faiblesse : difficile de l’arrêter, sauf à le détruire. Question qui s’est posée à de multiples reprises pour certaines personnes qui lui ont fait face : Churchill, pour ne citer qu’un seul exemple.
Revenons à la lettre de Pierre Cot :
"Il est vrai qu’il s’est engagé à soumettre son action à la ratification du peuple français après la guerre. Fort de ses engagements, ses amis répètent : « Vous voyez bien qu’il n’y a rien à craindre. » Mais nous connaissons, toi et moi, ces engagements et ces ratifications. Dans l’Histoire de France, tous nos coups d’État se sont faits avec cette procédure ; dans l’Histoire contemporaine, Hitler et Mussolini ont fait couvrir leurs dictatures par l’approbation populaire. Enfin, le gouvernement de Vichy a pris les mêmes engagements." (Idem, page 239)
Comme on le sait, les craintes ici formulées, dès 1941, à l’égard de Charles De Gaulle par Pierre Cot, se sont pleinement réalisées en 1958 et 1962. Le résultat en est cette Constitution de la Cinquième République qui s’inspire, pour l’article 16 et pour l’élection du président de la république, de la Constitution de la République de Weimar qui a permis à Hitler d’arriver au pouvoir dictatorial par la voie institutionnelle, tout simplement…
Voyons la suite :
"Ce qui me préoccupe davantage, c’est l’ignorance absolue de l’état d’esprit populaire français et européen que révèle une telle attitude. Après la guerre, nous aurons une explosion violente d’antifascisme. Il est impossible même de prévoir jusqu’où ira cette explosion. Mais il serait puéril d’imaginer une Europe dans laquelle on laisserait la France avec une dictature militaire." (page 239)
En quelques mots, voici ce qui peut être dit à ce propos : les Américains ont tout fait pour contenir De Gaulle dans ses velléités de conquête en Allemagne et en Italie en 1944 et 1945, de sorte qu’il a reporté sa volonté de faire la guerre à tout prix vers l’Indochine ; les communistes n’ont pas choisi l’action autonome, ils sont restés liés aux socialistes et aux démocrates chrétiens ; enfin, si Leclerc a accepté de conduire le corps expéditionnaire en Indochine contre les communistes de Hô Chi Minh, il avait refusé, après la libération de Paris, d'être nommé gouverneur militaire de la capitale par De Gaulle, et de se trouver, peut-être, dans la situation d’avoir à faire tirer sur les communistes. Le coup d’État militaire aurait donc été hors de saison. Ce qui n’était déjà plus le cas treize ans plus tôt : il a donc fini par avoir lieu.
(Pour les synergies entre De Gaulle et Hitler, cette vidéo : http://youtu.be/Jo2hIRYoRW0)