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Michel J. Cuny

Ecrivain-éditeur professionnel indépendant depuis 1976. Compagnon de Françoise Petitdemange, elle-même écrivaine-éditrice professionnelle indépendante depuis 1981.

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Billet de blog 16 novembre 2014

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Faussaires de l'économie - 14 : Le prix des nourritures terrestres à l'arrière-plan du chômage

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Revenons aux phrases de Thomas Piketty qui nous ont conduits à faire ce très large détour dans le texte même de David Ricardo :

"[Ricardo] est surtout intéressé par le paradoxe logique suivant : à partir du moment où la croissance de la population et de la production se prolonge durablement, la terre tend à devenir de plus en plus rare relativement aux autres biens. La loi de l'offre et de la demande devrait conduire à une hausse continue du prix de la terre et des loyers versés aux propriétaires terriens."

"Intéressé" peut-être. Mais la rente, en elle-même, n'est pour Ricardo qu'un phénomène de caractère second. Ce qui l'intéresse vraiment, c'est l'impact de cette rente, selon qu'elle monte ou qu'elle baisse, sur le coût de survie de la main-d'oeuvre, et donc sur le niveau des profits qu'il est possible de réaliser à partir de la valeur économique produite par les quantités de travail exploitées. C'est lui qui nous le dit à propos de ses Principes de l'économie politique et de l'impôt :

"L'un des objets de cet ouvrage a été de montrer qu'à chaque baisse de la valeur réelle des biens nécessaires, les salaires diminueront et les profits augmenteront ; en d'autres termes, que sur une valeur annuelle donnée, une plus faible part sera versée à la classe des travailleurs, et une plus forte à ceux qui, par leurs fonds, emploient cette classe." (page 432)

Ce qui intéresse vraiment David Ricardo, ce n'est pas une prétendue répartition, c'est la production de la valeur économique ; ce sont les conditions optimales de cette production ; c'est donc la limitation des faux frais de l'exploitation du travail. Dans ce contexte, la rente n'est qu'un empêcheur de tourner bien rond... Mais, tout à la fois, elle est hors course. Laissons-le nous le dire :

"Si les salaires diminuent, les profits augmenteront, et non la rente", et encore : "Que le propriétaire foncier doive renoncer à la totalité de sa rente, les travailleurs n'en bénéficieraient pas pour autant. Qu'il soit possible aux travailleurs d'abandonner la totalité de leurs salaires, le propriétaire foncier n'en tirerait pas avantage." (page 424)

Voilà pour le circuit intérieur de l'exploitation. Mais il faut compter avec ce qui vient troubler ce circuit en raison de la rareté naturelle de la fertilité des sols, et de l'appel d'air qu'offre à la prolifération de la classe ouvrière la suspension partielle de la contrainte qui pèse sur elle de ne pas dépasser trop largement une rémunération limitée à sa seule survie, et à sa reproduction dûment qualibrée selon les besoins de l'exploitation. Revenons maintenant à Ricardo et à la question de la rente :

"L'augmentation de la rente et des salaires, et la baisse des profits, sont en général les effets inévitables de la même cause : l'augmentation de la demande de subsistances, l'accroissement de la quantité de travail nécessaire à sa production et le haut prix qui en résulte." (page 424)

Haut prix qui provient donc d'une croissance de la rente, avec cettte conséquence que le salaire devra augmenter d'autant, entraînant une baisse immédiate des profits. Jusqu'où ce processus peut-il s'étendre ? Réponse de David Ricardo :

"Cependant, la hausse du prix des biens nécessaires et l'augmentation des salaires sont limitées ; car dès que les salaires auront épuisé la totalité des recettes du fermier, il n'y aura nécessairement plus d'accumulation ; car aucun capital ne pourra plus rapporter le moindre profit, aucun travail supplémentaire ne pourra être exigé, et, par conséquent, la population aura atteint son niveau maximal. Avant même d'en arriver là, le faible taux de profit aura condamné toute accumulation, et la presque totalité du produit total du pays – après rémunération des travailleurs – sera aux mains des propriétaires fonciers et des bénéficiaires de la dîme et des impôts." (pages 139-140)

"Après rémunération des travailleurs..." En réalité, de ce côté-ci il y a une autre issue qui dépend tout simplement du rapport de forces existant entre les propriétaires du capital et celles et ceux qui n'ont que leurs bras pour vivre... Le chômage s'installera d'abord, et la famine ensuite, pour toute personne dont le travail ne peut plus être exploité de façon avantageuse par le capital. Ce qui, à nouveau, n'est pas une affaire de "répartition". C'est simplement la conséquence de la condition fondamentale d'existence du mode capitaliste de production : que les travailleurs soient coupés des moyens de produire leur simple survie elle-même. Situation si puissamment fondée dans le système lui-même que l'accaparement de la nature par les propriétaires des terres agricoles leur assure une rémunération "sans cause" : la rente. Sans "cause" autre que la menace de mort que fait peser sur autrui la situation dans laquelle il est de ne pas pouvoir vivre seulement de l'air du temps.

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