Très impressionné par la reconstitution actuelle des grandes fortunes dans des dimensions qui les ramènent à leur situation d'avant la Première Guerre mondiale, Thomas Piketty imagine pouvoir utiliser la clé de la répartition dans le règlement de cette grande affaire qui lui paraît mettre grandement en danger la démocratie méritocratique. Il voit dans le grand déséquilibre en voie de ré-accentuation un effet de la rente. En conséquence, il pense pouvoir corriger cela par un instrument qui se situe dans ce même registre de répartition : l'impôt progressif sur le revenu.
Significativement, le problème de la concentration des richesses a été perçu et étudié dans les décennies environnant l'an 1800. C'est ce que Thomas Piketty nous rappelle en y mettant tout le poids de son propre émoi :
"En vérité, la plupart des observateurs de l'époque - et pas seulement Malthus et Young - avaient une vision relativement sombre, voire apocalyptique, de l'évolution à long terme de la répartition des richesses et de la structure sociale. C'est notamment le cas de David Ricardo et de Karl Marx, qui sont sans doute les deux économistes les plus influents du XIXème siècle, et qui s'imaginaient tous deux qu'un petit groupe social - les propriétaires terriens chez Ricardo, les capitalistes industriels chez Marx - allait inévitablement s'approprier une part sans cesse croissante de la production et du revenu." (page 25)
Comme on le voit, pour Thomas Piketty, Karl Marx serait lui-même un adepte d'une économie de la répartition... Il se serait soucié des "parts" de tout un chacun. Et nullement sans doute... de l'exploitation. C'est-à-dire de ce que produit, de soi-même, la séparation entre les travailleurs et les moyens de production auxquels ils doivent plier toute leur personne pour mériter de survivre et d'engendrer leurs remplaçants dans les meilleures conditions d'existence et de formation possibles... Sur fond de quoi s'établit la valeur économique.
Mais laissons cela pour l'instant.
Karl Marx meurt sans avoir vraiment pu être entendu, et voici la suite de l'évolution des "inégalités", tant au Royaume-Uni qu'en France, telle que Thomas Piketty a pu la constater d'aussi près que possible à partir de sources multiples :
"Au cours des années 1870-1914, on assiste au mieux à une stabilisation des inégalités à un niveau extrêmement élevé, et par certains aspects à une spirale inégalitaire sans fin, avec en particulier une concentration de plus en plus forte des patrimoines. Il est bien difficile de dire où aurait mené cette trajectoire sans les chocs économiques et politiques majeurs entraînés par la déflagration de 1914-1918, qui apparaissent à la lumière de l'analyse historique, et avec le recul dont nous disposons aujourd'hui, comme les seules forces menant à la réduction des inégalités depuis la révolution industrielle." (pages 25-26)
Mais étonnamment, pour Thomas Piketty, la révolution bolchevique de 1917 paraît ne jamais avoir existé : le choc économique et politique, ce n'est donc pas elle. Vraiment ?...