Dans l'ouvrage "Les hauts revenus en France au XXème siècle" qu'il a publié en 2006 chez Hachette Littérature, Thomas Piketty n'avait pourtant pas cessé de souligner une périodisation fondamentale :
"Manifestement, quelque chose a changé dans les pays capitalistes développés entre 1914 et 1945 : après les crises, les hiérarchies paraissent figées dans le marbre, et il semble être devenu impossible pour les détenteurs de patrimoines d'accumuler et de reconstituer des fortunes d'un niveau comparable à celles du début du siècle." (page 756)
Thomas Piketty comprend bien qu'il a dû aussi se passer un tout petit quelque chose du côté - non plus des fortunes elles-mêmes - mais des revenus qui vont avec :
"D'une certaine façon, l'effondrement des très hauts revenus constaté au cours de la période 1914-1945, et tout particulièrement au cours des années 1929-1945, peut être décrit comme la conséquence normale d'une "récession" exceptionnelle." (page 209)
D'une récession ?... Allons-bon... Rien qu'une récession ?... Deux guerres mondiales directement produites par l'impérialisme... Peut-on vraiment ne parler que d'une récession. Des dizaines de millions de morts, combien de centaines de millions de blessés ? des destructions massives et en tout genre un peu partout sur la planète... Même "exceptionnelle", comment ne parler que d'une récession ?...
Mais entre-temps, Thomas Piketty, qui tient absolument à se réfugier derrière son petit doigt, a trouvé autre chose à incriminer que les effets de l'impérialisme :
"[...] l'effondrement des très gros patrimoines porte la marque des crises éminemment politiques de la période 1914-1945, et le fait que ces fortunes n'aient jamais retrouvé le niveau astronomique qui était le leur au début du siècle semble s'expliquer par l'impact de l'impôt progressif sur le revenu sur l'accumulation et la reconstitution de patrimoines importants, impôt progressif dont le but a d'ailleurs toujours été de taxer lourdement les strates supérieures du centile supérieur de la hiérarchie des revenus, et non pas les « classes moyennes » (supérieures ou non), dont la position vis-à-vis de la moyenne des revenus a toujours été considérée comme légitime." (pages 725-726)
"Crises éminemment politiques"... C'est déjà mieux. Crises tellement politiques qu'elles auraient débouché sur une mise en oeuvre de plus en plus musclée de l'impôt progressif sur le revenu : c'est tout de même un peu court.
Mais nous avons ici un certain Joseph Staline qui, s'adressant au camarade Alexandre Ilitch Notkine le 1er février 1952, propose sa conception des choses :
"La crise générale du système capitaliste mondial a commencé pendant la première guerre mondiale, notamment du fait que l'Union soviétique s'est détachée du système capitaliste. Ce fut la première étape de la crise générale. Pendant la deuxième guerre mondiale, la deuxième étape de la crise générale s'est développée, surtout après que se sont détachés du système capitaliste les pays de démocratie populaire en Europe et en Asie. La première crise à l'époque de la première guerre mondiale et la seconde crise à l'époque de la seconde guerre mondiale, ne doivent pas être considérées comme des crises distinctes, indépendantes, coupées l'une de l'autre, mais comme des étapes de développement de la crise générale du système capitaliste mondial."
Voilà qui a immédiatement une tout autre allure.