Néanmoins - et c'est la preuve qu'il a été bien formé par l'Université française -, même après avoir évoqué ce sang qui coule de façon très contemporaine, Thomas Piketty n'en démord toujours pas : il n'a vu là aucune trace d'exploitation de l'être humain par l'être humain.
Cependant que cela prouve, à l'évidence, qu'il n'a rien compris à ce à quoi David Ricardo s'est pourtant donné la peine de l'initier : c'est bien le minimum vital (physique, psychologique et intellectuel) qui, en mode capitaliste de production, fonde la valeur économique qui garantira toute comptabilité possible à l'ensemble de la planète rangée, plus ou moins volontairement, sous cette orbe-là.
D'où se déduira que tout spécialiste de l'économie qui ignore, ou veut ignorer cela, laisse à penser qu'il est un tout petit peu fumiste, de son état. A moins qu'il ne soit justement rémunéré pour se jouer à ce point de la discipline qu'il est censé représenter : Thomas Piketty le comprend très bien quand il parle de ses collègues...
En tout cas, les coups de fusils d'Afrique du Sud ne l'extraient en aucun cas de son rêve de démocratie méritocratique, c'est-à-dire de répartition bonne enfant ou, au pire, à la va-comme-je-te-pousse :
"Cet épisode récent vient nous rappeler, si besoin est, que la question du partage de la production entre salaires et profits, entre revenus du travail et revenus du capital, a toujours constitué la première dimension du conflit distributif." (page 72)
"Distributif" ?... Pas du tout : c'est qu'il s'agit d'assurer la permanence de la séparation entre les travailleurs et les moyens de production qui leur sont nécessaires pour produire ne serait-ce d'abord que la valeur économique nécessaire à leur survie et celle de leurs enfants. Pour aller au-delà, et tant que le mode capitaliste de production régentera leur vie, il leur faudra affronter les fusils. Un point, c'est tout. Et parfois, il y aura des morts chez eux rien que pour 75 euros de plus par mois.
Mais, bien sûr, Thomas Piketty veut absolument nous démontrer qu'il n'a rien compris non plus aux enjeux d'exploitation d'époques plus lointaines :
"Dans les sociétés traditionnelles, déjà, l'opposition entre le propriétaire foncier et le paysan, entre celui qui possède la terre et celui qui apporte son travail, celui qui perçoit la rente foncière et celui qui la verse, était au fondement de l'inégalité sociale et de toutes les révoltes."
Sans nous arrêter aux à-peu-près qui transparaissent dans la formulation du "versement" de la rente, insistons sur ce point essentiel que la propriété n'est pas un facteur d'inégalité. Il n'y a d'inégalité qu'à partir d'une mesure partagée et portant sur une valeur homogène des deux côtés de son application. L'inégalité se joue toujours sur un terrain commun. Quand l'un est propriétaire des moyens de production tandis que l'autre ne l'est pas, il n'y a plus de terrain commun : c'est ce qui fait tout le charme de l'exploitation des uns par les autres. Est-ce si difficile à comprendre ?