Bon, revenons à nos moutons…
C’est qu’il va falloir préparer les États-Unis à nos petites manœuvres du côté de Saint-Pierre-et-Miquelon…
Télégramme de Brazzaville à René Pleven, Londres, 20 mai 1941 :
"Les événements m’amènent à vous demander de partir pour l’Amérique aussitôt que possible et sans attendre mon retour à Londres. […] je vous donne tout pouvoir et toute qualité pour agir et parler en mon nom et au nom du Conseil de défense de l’Empire."
Mais surtout, n’oubliez pas ce qui suit :
"Je décerne la croix de la Libération à chacun des 24 citoyens américains qui sont morts pour la France et pour la liberté du monde à bord du Zamzam. Veuillez envoyer immédiatement par avion les croix à Sieyès pour qu’il les remette en mon nom aux familles et donne une grande publicité." (Lettres, page 331)
Voilà un très beau geste. Pas du tout opportuniste. Et discret.
Il n’a qu’un défaut, et c’est une note de bas de page qui nous le révèle :
"Le Zamzam transportait des ambulances et un personnel ambulancier volontaire américains, qui se rendaient à Port Soudan pour se mettre à la disposition du général Legentilhomme. Le général De Gaulle ne décernera finalement pas les croix aux Américains, heureusement sains et saufs." (page 331)
Dommage : c’était bien joué.
Une semaine plus tard, depuis Le Caire cette fois, le général De Gaulle s’adresse au général Petit à Londres non sans une inquiétude parfaitement justifiée (27 mai 1941) :
"Je rappelle que admission dans ordre de la Libération ne peut être prononcée que par moi-même personnellement ; toute admission que je n’aurais pas prononcée est nulle et non avenue. Quand j’ai prononcé l’admission, la croix peut être remise à l’intéressé par un membre de l’ordre, en particulier par un membre du Conseil de défense de l’Empire ; les membres du Conseil de défense sont membres de droit. La remise se fait au cours d’une prise d’armes et avec la plus grande solennité possible : présentez armes, ouvrez le ban, untel, grade et nom. Nous vous reconnaissons comme notre compagnon pour la libération de la France dans l’honneur et par la victoire. Fermez le ban. Veuillez faire notification de ceci par télégramme s’il y a lieu." (Lettres, pages 337-338)
C’est que cette médaille n’était pas du toc : nous pouvons nous en convaincre très facilement en reprenant quelques phrases que le général De Gaulle a prononcées devant Claude Guy, son aide de camp de 1944 à 1949, et que celui-ci rapporte dans son livre "En écoutant de Gaulle" (Grasset et Fasquelle 1996, page 414) :
"J’avais toujours pensé que la médaille de la Résistance serait l’objet de tout un trafic et je ne me suis pas trompé, puisque, si, au moment de mon départ, il n’y avait pas vingt mille médaillés de la Résistance, il y en a actuellement plus de soixante mille."
"Et puis, je peux bien vous le dire : ce qui importait, c’était de maintenir les compagnons de la Libération au pinacle, en n’étant pas trop sévère en ce qui concerne l’attribution de la médaille de la Résistance, qui, dans mon esprit, devait servir de dépotoir."
(Hein, qu'elle est bonne !... Et voici, pour celles et ceux qui ont de l'estomac : http://youtu.be/Jo2hIRYoRW0)