1940. Les circonstances d’une défaite très particulière
Ainsi qu’il est arrivé à Charles De Gaulle de le souligner, la politique étrangère et militaire de la France avait commencé à basculer en 1934, au lendemain des événements du 6 février, à l’occasion desquels les ligues d’extrême-droite ont tenté - très maladroitement - de porter atteinte aux institutions de la République. Gaston Doumergue est devenu président d’un Conseil dans lequel figuraient déjà Philippe Pétain et Pierre Laval, et de là dateraient, selon De Gaulle, les premiers accommodements avec Adolf Hitler.
Si nous reprenons cette même question six ans plus tard et alors que se développe ce qui figure désormais dans l’Histoire comme la « drôle de guerre », nous pouvons faire état d’un document essentiel qui fournit la vraie clef d’interprétation de la défaite de 1940.
Il s’agit d’un rapport établi en mars 1940 - deux mois avant la foudroyante attaque allemande - par une commission parlementaire dirigée par un député de la droite nationaliste, Pierre Taittinger, qui s’est rendue sur le front et plus précisément dans la région de Sedan.
Nous y lisons ceci :
"Pour conjurer en particulier le triste souvenir que la visite du secteur de Sedan fait revivre, des mesures urgentes doivent être prises." (Les événements survenus en France de 1933 à 1945, tome 2, P.U.F. sans date, page 359)
Et encore ceci :
"Les organisations défensives sont, dans ce secteur, rudimentaires, pour ne pas dire embryonnaires." (Idem, pages 359-360) (C'est souligné dans l'original.)
"Les Allemands ont montré, en 1914, qu'ils étaient passés maîtres dans l'art d'utiliser le couvert des bois et nous pourrions avoir, de ce côté, un jour prochain, une surprise suivie d'amères déconvenues. Nos ennemis évitant le point solide de Montmédy pourraient se laisser "couler" en direction de Sedan, point particulièrement faible de notre système défensif." (Idem, page 360) (Même remarque)
Rien ne sera fait pour remédier à cette situation, ni par le commandement, ni par le gouvernement, qui en seront pourtant dûment informés. Encore n’avons-vous retenu ici qu’une toute petite partie du rapport… En tout cas, voici ouvert le point d’attaque de Guderian, et de ce que l’auteur de "Vers l’armée de métier" aura toujours voulu considérer comme sa chose : le corps cuirassé… Qu’il soit allemand ou français, il doit vaincre par lui-même… et non pas s’enfoncer dans des lignes de défense qui n’en sont pas.
Ce qu’il nous faut maintenant souligner, c’est qu’à la Libération, le général De Gaulle, dont on pourrait penser que les circonstances de la défaite de 1940 ne devaient pas le laisser indifférent, a refusé toute collaboration avec la commission d’enquête parlementaire présidée par Charles Serre, député, qui avait retrouvé le rapport de mars, et qui avait, par ailleurs, la tâche essentielle d’étudier "les événements survenus en France de 1933 à 1945".
Pour sa part, Charles De Gaulle devait écrire au président Serre le 24 novembre 1947 :
"Je ne contesterai certes pas que l’appréciation impartiale de ce qui s’est passé au cours de cette période présente un extrême intérêt. Mais, laissez-moi vous le dire, je ne crois pas que la commission dont il s’agit ait, par nature, la possibilité d’en juger d’une manière désintéressée." (Idem, page 545)
Bien sûr, De Gaulle n’était pas seul à organiser le black-out sur toute cette période. Dès le début du tome II, la commission apporte elle-même ces précisions :
"Le lecteur s’étonnera sans doute de certaines absences. En réalité certains témoins se sont récusés pour raison de santé (cas par exemple du président Jeanneney, du général Colson, etc.). D’autres n’ont pu être joints parce qu’ils se trouvent à l’étranger ; c’est le cas de MM. Camille Chautemps, Alexis Léger, général Noguès ; la Commission, faute de crédits, n’a pu, comme elle l’avait envisagé, envoyer auprès d’eux une délégation qui aurait recueilli leur témoignage." (Idem, tome II, page 172)
Pour permettre d'en savoir plus dès maintenant, je donne rendez-vous sur cette vidéo un peu longue (45 minutes) : http://youtu.be/Jo2hIRYoRW0