Faire de l’obstacle un tremplin…
Reprenons le fil des explications fournies par Axel Poniatowski, rapporteur de cette Commission dont il importe ici de redonner le titre complet :
"Commission d’enquête sur les conditions de libération des infirmières et du médecin bulgares détenus en Libye et sur les récents accords franco-libyens."
L’ordre d’apparition des différents éléments ne doit pas induire en erreur. Les "récents accords" ne sont pas nécessairement seconds…
En effet, en ce qui concerne l’affaire des inculpés…
« L’action de la France, comme celle de l’Union européenne, s’est déroulée dans le cadre d’une reprise des relations avec la Libye, après la levée de l’embargo sur les ventes d’armes décidée par l’Union le 11 octobre 2004. »
Récapitulons l’ordre des faits. L’épidémie de sida s’est produite en 1998. La levée de l’embargo date de 2004… Et quelques lignes plus haut, Axel Poniatowski nous rappelait que…
« Le rôle de la France dans le dossier des infirmières et du médecin bulgares comporte deux périodes : la première, qui va de juin 2005 à mai 2007. »
L’affaire ne devient une affaire qu’après que l’agenda des "affaires" se soit remis en marche. Mieux encore, s’il faut en croire le rapporteur :
« Toutefois, le sort des infirmières et du médecin a fait obstacle à un approfondissement des relations, parce que les autorités politiques et une partie de l’opinion publique se sont mobilisées en leur faveur. »
Y aurait-il eu un défaut de coordination ? Ou ne s’agit-il que d’une contrariété imposée par les faits eux-mêmes ?
Du côté de la reprise des affaires, voici comment les choses se sont passées, nous dit Axel :
« En avril 2005, à l’initiative de M. Edouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, une demande d’information était adressée à l’ambassadeur de Libye à Paris, cosignée par les présidents du groupe d’amitié France-Bulgarie et du groupe d’études à vocation internationale sur la Libye. La commission des affaires étrangères a ensuite, le 6 février 2007, unanimement demandé, sur la proposition de votre rapporteur, que le projet de loi, rapporté par M. François Loncle, autorisant la ratification d’un accord fiscal de non double imposition avec la Libye ne soit pas inscrit à l’ordre du jour de la séance publique, tant que les personnels soignants ne seraient pas libérés. »
Ainsi, avant l’élection de Nicolas Sarkozy, le lien est déjà fait entre la reprise des affaires et le règlement de la question du personnel médical bulgare.
Ce lien paraît avoir été un frein inconnu ailleurs. C’est ce que constate le rapporteur Poniatowski :
« En comparaison, le gouvernement du Royaume-Uni a joué un très grand rôle dans la libération des prisonniers, mais les Britanniques semblaient relativement indifférents à cette affaire. La signature en mai 2007 d’un contrat de prospection gazière avec la Libye par British Petroleum, à l’occasion de la visite à Tripoli du Premier ministre Tony Blair, n’a pas soulevé de critiques particulières. »
En ayant à l’esprit cette date de mai 2007 pour la phase définitive de l’accord britannico-libyen, rappelons que la partie française extrêmement active de libération des personnes inculpées s’est produite à la fin du mois de juillet 2007, et à la vitesse d’une course poursuite… Comme si la meute des concurrents de la France - empêtrée dans la politique d’imposition des droits de l’homme à la Libye - en était à ramasser tranquillement tous les contrats qui auraient pu lui revenir.
Empêtrée… avec l’Union européenne, qui, en l’occurrence, ne pouvait être qu’un redoutable boulet.
Mais, au départ, et bien que l’embargo fût déjà levé, la question des contrats ne paraît pas avoir été liée à celle des infirmières. Axel Poniatowski écrit :
« C’est en marge du sommet euro-méditerranéen de Barcelone, en novembre 2005, que M. Philippe Douste-Blazy a rencontré son homologue libyen, M. Abderrahmane Chalgham, pour lui faire part des préoccupations françaises sur le sort des infirmières et du médecin et de la disponibilité des autorités françaises à aider la Libye à régler un dossier qui nuisait à son image. »
Le lien est ensuite établi de façon très significative puisqu’il s’agit - comme Axel vient de nous le dire dans l’avant-avant-dernière citation - d’une entrave insurmontable mise par la Commission des affaires étrangères à toute inscription à l’ordre du jour d’une séance publique du Sénat de la ratification d’un accord fiscal ouvrant plus largement à la Libye les portes de la France.
Mais, dans un premier temps, il paraît qu’il ne se serait agi, pour la Libye, que de "régler un dossier qui nuisait à son image".
Comment la condamnation à mort, survenue à trois reprises, de personnes inculpées dans la contamination de plusieurs centaines d’enfants et dans la mort de quelques dizaines d’entre eux aurait-elle pu nuire à son image ?...
Axel Poniatowski poursuit :
« La Libye a alors sollicité l’assistance de la France pour agir auprès des enfants contaminés et de leurs familles, avec lesquelles le gouvernement libyen entretenait des relations difficiles. »
Ce qui est curieux ici, c’est que la France est maintenant présentée comme un médiateur nécessaire entre le gouvernement libyen et sa population… à propos de l’affaire de contamination, alors que, jusqu’à présent, il nous avait été dit que les plaintes de cette population portaient contre le soutien que l’Union européenne et la France prétendaient apporter aux six personnes condamnées…
Mais voici à quoi peut aboutir le schéma fabriqué de toutes pièces par le rapporteur :
« Cette acceptation de l’aide française dans l’espoir de calmer la colère des habitants de Benghazi constituait un aveu implicite de la responsabilité libyenne dans cette affaire. »
Et pourtant, il y a, quelque part, une indemnisation de 460 millions de dollars en cours…