En choisissant de placer son livre sous le titre "Le capital au XXIème siècle", Thomas Piketty court le risque de se voir opposer certains éléments du contenu du "Capital" de Karl Marx. Il ne saurait donc s'étonner de ce que cela puisse se produire ici.
Mais, en fait, à défaut du capital - dont, comme nous devrions en acquérir très vite la certitude, il ne traite jamais dans son livre - la fin de son Introduction montre que Thomas Piketty sait très bien que son véritable sujet est... "l'histoire des revenus et des patrimoines", ce qui est tout autre chose... Rien qu'une petite affaire de répartition de gentils gâteaux semblables à ceux qu'on voit se promener dans les livres de la comtesse de Ségur. Et pourquoi pas ?
Or, de cette histoire, il sait ceci :
"Elle dépend des représentations que les différentes sociétés se font des inégalités, et des politiques et institutions qu'elles se donnent pour les modeler et les transformer, dans un sens ou dans un autre." (page 68)
Il va donc revenir à Karl Marx, à travers sa lecture critique d'Adam Smith, de nous dire en quoi consiste le travail idéologique auquel Thomas Piketty a choisi d'attacher son nom...
Mais, avant d'aborder l'analyse de ce qu'il y avait d'incohérent chez Adam Smith quant à sa conception de l'origine de la valeur économique en mode capitaliste de production, Karl Marx déploie le cadre général des "Conditions réelles du processus de circulation et de reproduction" du capital :
"Le processus direct de la production du capital, c'est son processus de travail et de valorisation. Il a pour résultat le produit-marchandise et pour motif déterminant la production de plus-value." (Le Capital, Livre II, Troisième section, premiers mots de l'Introduction)
Ici, comme très souvent chez Karl Marx, chaque mot est important. Par contraste avec ce que nous savons des positions idéologiques de départ de Thomas Piketty, il faut immédiatement souligner ces termes-ci : production, travail, valorisation (= processus de mise en valeur), produit, plus-value. En effet, dès qu'il est question de production en mode capitaliste de production (production que Thomas Piketty se garde bien d'aborder...), il s'agit de production de plus-value, c'est-à-dire d'une exploitation du travail (productif, au sens ou il est producteur de plus-value) et d'une plus-value qui s'établit sur le fondement d'une valeur économique entièrement déterminée par la quantité de travail mise en oeuvre dans le système de production.
Voilà donc ce que Thomas Piketty a décidé de balayer d'un revers de main, en faisant comme s'il était possible, après Karl Marx, de rester rivé à la moitié erronée du travail par ailleurs essentiel d'Adam Smith.