Une Libye au carrefour des impérialismes
Suivons le cheminement de l’intervention française dans la question du personnel médical condamné à mort par la justice libyenne…
Dans un premier temps, nous explique Axel Poniatowski :
"L’action de la France, au cours de la période allant de juin 2005 à mai 2007, s’est inscrite dans ce cadre européen, sans pour autant empêcher notre pays de lancer ses propres initiatives."
Profil bas ici, par exemple :
"Au moment du prononcé de la seconde condamnation à mort, le 19 décembre 2006, le ministre des affaires étrangères a fait publier un communiqué de presse dans lequel il indiquait que la France déplorait ce verdict tout en appelant à la clémence les instances libyennes ; le communiqué précisait que c'est un sentiment de compassion, vis-à-vis des enfants et vis-à-vis de ces infirmières et de ce médecin palestinien, qui avait guidé l’action de la France."
La France "déplore", et affirme que, de façon plus générale, elle n’agit que par "compassion". C’est-à-dire qu’elle ne songe pas à remettre en cause la décision de la justice… qui vient pourtant de confirmer rien qu’une condamnation à mort… Elle fait patte de velours.
Mais, lorsqu’à la même occasion, elle se range sous la bannière de l’Union européenne, elle s’organise pour que le ton change. C’est toujours le rapporteur qui l’affirme une page plus loin :
"Lorsque le tribunal de Benghazi confirme une nouvelle fois la sentence de peine de mort, le 19 décembre 2006, c’est à l’initiative de la France que, le 22 janvier 2007, le Conseil européen qualifie le verdict d’inacceptable."
C’est Axel qui souligne.
Et sans la moindre transition, nous passons à l’histoire récente de la Libye. Sans doute allons-nous découvrir ce que cette histoire recèle, justement, d’inacceptable…
Or, le premier paragraphe de cette nouvelle partie du Rapport nous place immédiatement devant une énorme surprise :
"Le colonel Mouammar Kadhafi a proclamé la République en Libye le 1er septembre 1969, à la suite du coup d’Etat qu’il a conduit. Ses positions pro-palestiniennes l’ont rapidement placé dans une opposition frontale aux Etats-Unis et à Israël, sans doute accentuée par l’explosion, le 21 février 1973, d’un Boeing 727 de la Libyan Arab Airlines abattu par l’aviation israélienne au-dessus du Sinaï, causant la mort de 110 civils libyens."
Le terrible "dictateur" dont nous ont parlé à satiété les grands organes de presse occidentaux aurait "proclamé la République"… Or, il est bien vrai que le coup d’État a visé une… monarchie. Ensuite, nous apprenons que l’opposition immédiate de la nouvelle Libye aux États-Unis et à Israël s’est trouvée concrétisée par la destruction en vol - par l’aviation israélienne (c’est écrit !) - d’un avion libyen… Libyen ? Et par la mort de 110 civils libyens… Libyens ? Nous qui étions tellement sûr(e)s de ce fait que seul le dictateur avait eu des agissements "terroristes".
Dès le 21 février 1973, le terrorisme israélien avait osé frapper à mort des civils libyens…
Continuons à lire le Rapport :
"La politique extérieure libyenne, des années 1970 à 2000, a suivi trois axes :
• Hostilité à l’Occident, accusé de soutenir Israël et d’empêcher la constitution d’un Etat palestinien.
• Panarabisme, avec des tentatives avortées d’union politique avec l’Egypte, la Syrie et la Tunisie.
• Expansionnisme en Afrique, avec notamment la tentative d’annexer la bande d’Aouzou, au Nord du Tchad."
Entrons dans les détails de la première rubrique :
"L’hostilité à l’Occident (au demeurant très ambiguë, la Libye n’ayant jamais cessé d’être un partenaire commercial actif, y compris pour l’achat d’armements) s’est principalement manifestée à partir de 1977, avec le saccage de plusieurs ambassades à Tripoli, dont celle des Etats-Unis."
La parenthèse est très significative puisque, s’agissant d’avions de guerre, par exemple, la France a été, aussi longtemps qu’elle l’a pu, parmi les fournisseurs de la Libye… Ce qui n’était pas nécessairement fait pour plaire, ni à Israël ni aux États-uniens, ni à leurs alliés britanniques.
Pour mieux le mesurer, consultons le livre de Françoise Petitdemange, "La Libye révolutionnaire dans le monde (1969-2011)" aux pages 33 et 34. Nous y retrouvons Guy Georgy, le nouvel ambassadeur que le président Georges Pompidou s’apprête à envoyer en Libye. Il s’entretient avec l’ingénieur général Bonte, délégué à l’armement, qui a quelques doléances à présenter, dont celle-ci :
"Les Anglais ont négocié récemment avec le roi Idrīs un colossal marché d’armement comportant des chars, du matériel de transport, de l’artillerie et des avions de combat ; bien entendu, c’est dans leur chasse gardée et nous n’avons aucune chance d’y placer notre production, mais, avec le changement politique qui vient d’intervenir, n’y aurait-il pas moyen de donner un peu d’oxygène à nos arsenaux ?" Car… "Vous savez que notre défense est conditionnée par le degré de notre technologie et l’importance de nos marchés extérieurs. Les autres ne font guère de cadeau dans ce domaine !"
Il n’est donc pas certain que les fâcheries des Anglo-Saxons avec la Libye révolutionnaire aient été à l’avantage de tous les Occidentaux… Il se pourrait même qu’elles aient eu, parmi leurs objectifs, de punir les États qui osaient trouver leur compte dans la prise de pouvoir des nouveaux arrivants... Nous gagnerons à ne jamais perdre cela de vue.
(Référence permanente en ce qui concerne la Libye de Muammar Gaddhafi : http://www.francoisepetitdemange.sitew.fr)