Le fantôme du Comité national français
Informé de la vigilance de son hôte en Angleterre, le général De Gaulle s’avance sur ce terrain sensible en écrivant le 23 juin 1940 à Winston Churchill :
"[…] je me propose d’instituer le plus tôt possible, à Londres, avec quelques personnalités françaises notables, un Comité national pour poursuivre la guerre en commun avec les Alliés." (Lettres, notes et carnets, juin 1940-juillet 1941, Plon 1981, page 14)
Il n’est plus question d’être la France, à soi tout seul, ni avec d’autres ; ni même de la représenter…
Cependant, tout aussi impertinent qu’avec Paul Reynaud, De Gaulle n’hésite pas à prendre la plume en lieu et place du Premier ministre britannique, et il lui propose un "projet de déclaration du gouvernement britannique" qui comporte ce passage :
"Le gouvernement britannique reconnaît que le Comité national français est qualifié pour représenter la nation française en tant qu’il est décidé à résister à l’ennemi commun et pour traiter de tout ce qui concerne la guerre menée en commun par la Grande-Bretagne, la France et leurs alliés." (Idem, page 15)
Nous y voyons reparaître subrepticement la représentation de la nation française, et puis la France elle-même…
Soulignons immédiatement que ce texte, qui révèle le forcing auquel De Gaulle s’est livré, n’a été publié qu’après son décès, par son fils Philippe. Dans les "Mémoires de guerre", par contre, nous découvrons ce que ce projet est devenu dans les mains de Churchill.
Le voici :
"Le Gouvernement de Sa Majesté a pris note du projet de formation d’un Comité national français provisoire, qui représenterait pleinement les éléments français indépendants qui sont résolus à poursuivre la guerre afin de remplir les obligations internationales contractées par la France. Le Gouvernement de Sa Majesté déclare qu’il reconnaîtra un Comité français de cette nature et qu’il traitera avec lui toute matière relative à la poursuite de la guerre, tant que le Comité continuera à représenter les éléments français qui sont résolus à lutter contre l’ennemi commun." (Mémoires, page 270)
En passant, notons que le gouvernement britannique ne reconnaît pas le Comité qui, pour lui, n’est encore qu’un projet d’un organisme provisoire, dont il n’est fait état qu’au conditionnel, et qui ne doit concerner que des éléments français indépendants, poursuivant la guerre pour remplir les obligations définies lors de l’entrée en guerre en septembre 1939…
Au surplus, selon le second paragraphe, la reconnaissance n’est prévue que pour le futur, et elle ne durera qu’aussi longtemps qu’il s’agira uniquement de lutter contre l’ennemi commun, qui ne peut pas être Vichy, mais l’Allemagne nazie et, accessoirement, l’Italie.
Rien n’aura donc résisté du projet de De Gaulle. Et c’est un point que Winston Churchill ne perdra jamais de vue.
Et comme si cela ne suffisait pas à nous éclairer sur ce dont était capable ce De Gaulle qui se croit désormais en situation d’échapper à tout contrôle et à toute contrainte, Jean-Louis Crémieux-Brilhac, qui était à Londres avec lui presque dès le début, et qui a consacré toute une partie de sa vie subséquente à rassembler et à étudier les documents de la France Libre, a découvert un document "oublié" par les De Gaulle père et fils. Il s’agit d’un extrait du discours que le général a prononcé à la BBC ce même dimanche 23 juin 1940, à 22 heures :
"Le Comité national français rendra compte de ses actes soit au Gouvernement établi, dès qu’il en existera un, soit aux représentants du peuple, dès que les circonstances leur permettront de s’assembler dans des conditions compatibles avec leur liberté, leur dignité et leur sécurité." ("La France Libre – De l’appel du 18 Juin à la Libération", Gallimard 1996, page 56)
N’est-ce pas ici que se situe la place de cet extraordinaire Conseil de la Résistance présidé par Jean Moulin pendant tout juste 25 jours avant que celui-ci soit livré à la Gestapo… Par qui, au fait ?... Et pour le compte de qui : on se le demande, n’est-ce pas ?... [Encore que la réponse soit connue depuis au moins vingt ans : http://souverainement.canalblog.com]
Plus particulièrement, d’ailleurs, à compter d’ici, tandis que l’image d’un Pierre Cot chassé de Londres n’est pas si loin de nous…