Ils plieront, coûte que coûte !
Peu à peu, le Général sent la moutarde lui monter au nez… Le télégramme qu’il envoie de Douala au général Legentilhomme, à Khartoum, ce même 5 mai 1941, est fait d’une encre que nous ne lui connaissions pas encore :
"Pour amener Djibouti au ralliement, nous comptons, en premier lieu, sur le blocus qui doit être maintenu intégralement même s’il est de longue durée. Djibouti ne peut résister à un blocus réellement effectif et prolongé : que les Italiens soient à Assab ne peut rien changer au fait que le blocus est justifié du moment qu’il nous est nécessaire et même s’il doit entraîner des désordres militaires et civils momentanés." (Lettres, page 311)
Répétons que, de blocus, il n’y en a guère, il n’y en a pas. Mais que Charles de Gaulle croit qu’il y en a un. Quant à lui, bien sûr, il n’utilise pas la force, et pour cause. C’est ce qu’il rappelle à René Pleven (Londres), dans le télégramme qu’il lui adresse, de Brazzaville, le 8 mai 1941 :
"Au sujet de Djibouti. Je répète que nous n’exerçons aucune action de force, non par principe car nous avons le droit, et nous pouvons avoir le devoir, d’agir par la force quand cela est utile, mais nous ne disposons pas des moyens suffisants sur place. Nous nous en tenons par conséquent à la propagande et surtout au blocus. Djibouti a encore six semaines de vivres. Si le blocus est maintenu fermement, le ralliement est inévitable." (Lettres, page 315)
Autrement dit, la France Libre compte sur la famine pour obtenir le ralliement d’une population qui lui est, sans doute, pleinement acquise !... Et encore, De Gaulle ne peut pas faire pire !... Ce qui d’ailleurs serait un devoir… puisque lui seul incarne la vraie France, celle qui peut tirer, sans doute, sur tout Français qui ne lui fait pas immédiatement allégeance. Mais, là, Charles le regrette manifestement : il n’en a pas les moyens. Il ne peut pas "dicter" comme il a tenté de le faire si magnifiquement à Dakar, huit mois plus tôt.
En désespoir de cause, il demande à René Pleven de l’appuyer à Londres et… de lui permettre de travailler dans le dos de ses petits camarades, tant il sait qu’il agit en dehors de toute légitimité sur un terrain qui est le leur par suite de la décision qu’il a prise de créer avec eux le Conseil de défense de l’Empire pour gérer ce qui se passe dans les différentes zones où il se trouve des colonies ou des territoires sous mandat français :
"Je vous prie d’agir dans le sens de la fermeté par tous les moyens sur le gouvernement britannique. Cela est nécessaire, car je vois à l’œuvre en Orient les mêmes personnages qui ont mené la politique de nos alliés en pays arabe et ont empêché la France Libre de faire en Syrie ce qu’elle pouvait faire en juin et en septembre. D’autre part, je vous prie de ne pas envoyer directement au général Legentilhomme, de même qu’au général Catroux d’opinions sur les actions en cours et sur la manière de les conduire. Cette manière de faire risquerait de contrarier l’exécution de ce qui est prescrit par moi. Enfin, dites de ma part au War Office qu’il ne lui appartient pas de communiquer directement avec le général Legentilhomme comme il vient de le faire en le consultant." (Lettres, page 315)