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Michel J. Cuny

Ecrivain-éditeur professionnel indépendant depuis 1976. Compagnon de Françoise Petitdemange, elle-même écrivaine-éditrice professionnelle indépendante depuis 1981.

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Billet de blog 30 novembre 2014

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Faussaires de l'économie - 40 : De la propriété d'esclaves aux souplesses de la possession des seules forces de travail

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Anecdotiquement, nous venons de le constater, Thomas Piketty est tout à fait capable d'utiliser le mot de "production". Mais ce n'est presque que par erreur... Un peu comme un enfant qui s'inquiéterait : "Maman, as-tu fait le gâteau ?"

D'où que vienne la production, et quoi qu'il en soit des conditions qui assurent sa présence, il préfère n'en retenir que ce qui suit :

"[...] toute la production doit être distribuée sous forme de revenus - d'une façon ou d'une autre : soit sous forme de salaires, traitements, honoraires, primes, etc., versés aux salariés et aux personnes qui ont apporté le travail utilisé dans la production (revenus du travail) ; soit sous forme de profits, dividendes, intérêts, loyers, royalties, etc., revenant aux propriétaires du capital utilisé dans la production (revenus du capital)." (pages 81-82)

Vision très fraternelle de l'économie nationale...

Poser, après ce joli paragraphe, la redoutable question "Qu'est-ce que le capital ?" présente évidemment quelques risques. En effet, chez Thomas Piketty tout "revient" à tire-larigot. Et pour bien arranger les choses, voilà qu'il y a même des gens qui, tandis que les propriétaires apportent leurs capitaux, "ont apporté" leur travail... Ce qui fait que, pendant le temps de production, les eux et les autres peuvent aller boire un verre à la taverne la plus proche en attendant que ça se tasse tout seul...

Et pourtant, Thomas Piketty se refuse à tout mélanger, et sans doute n'a-t-il pas tort. Ça ne "revient" pas en effet tout à fait comme certains aimeraient à le croire, mais surtout à le faire croire, par conséquent :

"Tout d'abord, tout au long de ce livre, quand nous parlons de « capital », sans autre précision, nous excluons toujours ce que les économistes appellent souvent - et à notre sens assez improprement - le « capital humain », c'est-à-dire la force de travail, les qualifications, la formation, les capacités individuelles. Dans le cadre de ce livre, le capital est défini comme l'ensemble des actifs non humains qui peuvent être possédés et échangés sur un marché." (page 82)

Un paquet d'actions, par exemple, voilà du capital qui se respecte. Acheter un ouvrier, c'est plus difficile... Peut-on croire... Et ça peut même se démontrer tout de suite en utilisant ce très joli repoussoir que constitue l'esclavage. Thomas Piketty s'y engouffre comme tant d'autres, alors qu'il sait très bien qu'il existe un marché du travail dans toute démocratie méritocratique :

"[...] le capital humain ne peut pas être possédé par une autre personne, ni échangé sur un marché, ou tout du moins pas sur une base permanente." (page 83)

On sent bien qu'au départ, il n'est pas très sûr de lui : "tout du moins". Mais la bouée de sauvetage n'est qu'à cinq lignes de là, et déjà il s'y agrippe :

"Sauf évidemment dans les sociétés esclavagistes, où il est permis de posséder de façon pleine et entière le capital humain d'une autre personne, et même ses éventuels descendants. Dans de telles sociétés, il est possible de vendre les esclaves sur un marché et de les transmettre par succession, et il est monnaie courante d'additionner la valeur des esclaves aux autres éléments de patrimoine."

"Mais quel embarras !", faudrait-il ne pas manquer de dire ici...

Alors qu'il est bien plus simple de limiter la vente à ce qui fait le coeur de l'humain dans un contexte d'exploitation : le temps de mise en oeuvre de sa force de travail. En dehors de quoi, il n'est plus question de prendre le moindre souci du reste de ses faits et gestes qui ne concernent plus du tout son patron. Sauf à ce qu'il le retrouve le lendemain apte à remplir ce qui est déterminé par le contrat de travail, dont on voit qu'il est là aussi pour "organiser" la permanence.

Permanence que briseront la mise en chômage, l'accident grave, le vieillissement... Toutes choses qui influeraient sur la valeur de revente de l'esclave, et qui, ici, n'atteindront ni le patrimoine du patron, ni celui de l'ensemble de la bourgeoisie que, pourtant, le salarié de base retrouve en permanence devant lui, ainsi que Karl Marx en fait la remarque dans "Travail salarié et capital" :

"[...] l'ouvrier dont la seule ressource est la vente de son travail ne peut quitter la classe tout entière des acheteurs, c'est-à-dire la classe capitaliste sans renoncer à l'existence. Il n'appartient pas à tel ou tel employeur, mais au patronat, à la classe bourgeoise, et c'est à lui à y trouver son homme, c'est-à-dire à trouver un acheteur dans cette classe bourgeoise." (C'est Karl Marx lui-même qui souligne)

D'où, grâce au statut de salariat, une très sérieuse diminution de l'ensemble des frais d'entretien pour chaque employeur comme pour la collectivité des employeurs... On n'arrête pas le progrès.

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