La Croisade rien que par la force
Deux mois plus tôt, une piste nouvelle s’était enfin annoncée sur laquelle il paraissait possible de s’engouffrer dans les fourgons britanniques, avec armes et bagages, et sans y être invités. Aussitôt, le général De Gaulle avait mis en alerte le général Catroux (télégramme de Yaoundé, 3 mai 1941) :
"Au cas où les événements amèneraient nos alliés britanniques à pénétrer dans les États du Levant dits sous mandat français, il est nécessaire que nous participions à leurs opérations au nom des droits et intérêts de la France et en raison de la participation de la France à la guerre." (Lettres, page 309)
Sous mandats français, c’est-à-dire sous le contrôle de Vichy. Opérations… militaires ? Dans ce cas, donc, la France Libre, "en raison de la participation de la France à la guerre" aux côtés de la Grande-Bretagne, se propose de faire la guerre à la France de Vichy. Ce qui serait aller plus loin qu’à Dakar où, seuls, les Britanniques avaient fait usage de leurs armes…
Lisons la suite du télégramme à Catroux :
"D’autre part, si les circonstances viennent à nous offrir l’occasion de régler la question nous-mêmes, fût-ce en employant la force, en profitant d’une secousse morale des troupes françaises en Syrie, nous devons immédiatement et sans hésiter saisir cette occasion." (Idem, page 309)
Tout cela pour exercer le mandat confié par la Société des Nations à la France ? Nous pouvons d’abord le croire. Ce qui est clair, c’est que l’usage de la force n’est pas exclu.
Quatre jours plus tard, un télégramme de De Gaulle transmis à Londres pour René Pleven est plus explicite (Douala, 7 mai 1941) :
"La déclaration au sujet de la Syrie ne peut avoir d’importance que si nous sommes en mesure d’agir en Syrie par la force et d’établir notre autorité. Cette condition commence seulement d’être imaginable." (Lettres, page 314)
La différence entre les deux messages n’est pas due au hasard. La suite l’illustrera parfaitement. Le général Catroux n’est pas un va-t-en-guerre, et tout spécialement dans le contexte du monde arabe qu’il connaît bien et qu’il ne voudrait pas contribuer à laisser sous les contraintes d’un temps qu’il juge dépassé.
Par contre, nous remarquons que ce qui importe au général De Gaulle, et ce qu’il n’hésite pas à affirmer dès qu’il peut se confier davantage, c’est de pouvoir user de la force pour établir son autorité, alors que l’usage de la force sous-entend assez nettement, dans ce cas, la production de marques de sang. En l’occurrence du sang français : cette condition commence seulement d’être imaginable, parce que l’occasion idéale est là.
En effet, les Britanniques ont besoin de contrôler le Levant pour des raisons de stratégie militaire. Il leur faut obtenir ce résultat avec un minimum de dépenses d’énergie. Leur objectif principal n’est évidemment pas de se saisir de ce territoire.
Serait-ce celui de Charles De Gaulle ? Bien sûr. En elle-même, la guerre véritablement mondiale ne l’intéresse pas du tout : il constitue son Empire. Rien d’autre ne peut même retenir son attention. Or, cet Empire passe par le sang français : c’est ce qui permettra à De Gaulle de laisser sa marque très personnelle. On se bat pour la France de De Gaulle contre celle de Vichy. C’est-à-dire que l’on ne se bat que pour De Gaulle, et pas pour la France : bonne façon d’inscrire ce nom dans le marbre de l’Histoire de France telle qu’elle se résume en De Gaulle lui-même.
Ainsi, en ce début du XXIème, voyons-nous, sans contestation possible, que ce pari, il l’a gagné de façon magistrale. Pour notre plus grande honte.
(référence permanente pour prendre la vraie mesure de Charles De Gaulle : http://youtu.be/Jo2hIRYoRW0)