Au pays des aveugles, les borgnes sont rois, et le font bruyamment savoir...
Après nous avoir plusieurs fois répété qu'il y avait une sorte d'unanimité dans la population libyenne et dans le corps médical de Benghazi quant à la culpabilité des infirmières bulgares et du médecin palestinien, Axel Poniatowski, rapporteur de la Commission d'enquête, nous offre soudainement un "scoop" :
"Parmi les autorités libyennes, la question de la culpabilité des soignants étrangers a pourtant suscité des clivages au point qu’après leur libération, le fils du colonel Kadhafi a publiquement fait part de ses doutes. Plusieurs témoins ont fait état devant la commission d’enquête de ces divisions. Le professeur Montagnier a évoqué l’existence de plusieurs groupes au sein du pouvoir libyen soulignant que Seif El-Islam Kadhafi avait probablement dès 2002-2003 des doutes sur la culpabilité des infirmières et du médecin."
Et oui, le revoilà !... Le futur prix Nobel des "probabilités improbables" a encore frappé. Cette fois, il a ausculté les astres, de sorte que "problablement dès 2002-2003", il est possible de prêter des "doutes" à Seif El-Islam Kadhafi quant à la culpabilité des infirmières et du médecin.
Mais pourquoi donc le prix Nobel en herbe a-t-il cru bon de se fendre de cette nouvelle probabilisation astronomique ? Axel nous le dit tout innocemment, comme toujours :
"Le professeur Montagnier a ainsi déclaré à propos de son rapport: « S’il n’a pas été pris en considération, c’est sans doute à cause de l’existence de deux clans sur cette question et aussi parce que la pression exercée par les parents restait très forte, comme on l’a constaté lors des audiences au tribunal. Il fallait, pour les autorités, maintenir l’idée qu’il existait des coupables d’origine étrangère »."
Il est vrai qu'il s'agissait d'un rapport probablement scientifique... Qu'on ne pouvait probablement pas mettre en cause sans induire une probable division en deux clans, renforcée par la probable "pression" exercée par les parents, etc. On connaît tout ça parfaitement : ce fut déjà le grand drame de Galilée... Mais Montagnier sera plus courageux. Ce n'est certainement pas lui qui va lâcher le morceau du défaut d'hygiène ni des seringues à rallonge : "Je le jure !"
Voici d'ailleurs un renfort de poids. C'est la suite immédiate du Rapport qui nous le livre :
"L’ambassadeur de France à Tripoli, M. Jean-Luc Sibiude, a évoqué, lui aussi, la coexistence de deux lignes au sein des autorités libyennes, avec un groupe « dur » croyant à la culpabilité des infirmières bulgares ou se servant de cette thèse pour désigner des boucs émissaires et satisfaire l’aspiration populaire à voir des étrangers condamnés."
Comme on le constate aussitôt, le propos est un peu confus... Si le "groupe dur " était "croyant à la culpabilité", il n'avait pas besoin de "boucs émissaires", ni de satisfaire quelque "aspiration populaire " que ce soit : tout le monde était d'accord... Si le "groupe dur " n'était pas "croyant à la culpabilité ", il ne devait sans doute pas être très nombreux : jusqu'à présent, nous n'en avions pas vraiment entendu parler... Mais il est vrai aussi qu'il y a toujours quelques originaux... Si c'est le cas en Libye aussi, ils ont dû forcer leur talent, désigner des "boucs émissaires " et "satisfaire l'aspiration populaire " tout bonnement xénophobe...
Ne sachant pas encore à quelle "improbable probabilité" se rattache Son Excellence l'ancien ambassadeur de France en Libye, nous pouvons momentanément nous en tenir là avec lui...
Axel Poniatowski s'en remet maintenant au plus grand bavard parmi les personnages invités à s'exprimer devant la Commission d'enquête : le médecin palestinien. Bien sûr, pour celui-ci il est hors de question d'admettre une culpabilité qui ne pourrait qu'être la sienne. Il faut donc qu'il emprunte le boulevard qui va en sens inverse : et qu'il y fasse le plus de bruit possible. Voici comment il s'y prend :
"Au cours de son audition, le docteur Ashraf Al Hajuj s’est pour sa part déclaré convaincu que les condamnations prononcées à l’encontre des infirmières et de lui-même avaient été dictées aux juges par le cabinet personnel du colonel Kadhafi. Il a décrit un système de corruption touchant tous les pans de la société libyenne, qu’il s’agisse de l’éducation, du système de santé ou de l’appareil judiciaire. Il a expliqué que tous les acteurs de cette affaire avaient bénéficié de promotions. Selon lui, le procureur général du tribunal populaire, M. Saïd Hafiana est devenu à la clôture du procès de 2002 le conseiller du Guide libyen pour les affaires africaines."
Lui n'est pas dans le "problable". Il y va de sa conviction... qu'à part lui, sans doute, en Libye tout était pourri. On y trouve, sous la férule du colonel Kadhafi, "un système de corruption touchant tous les pans de la société libyenne, qu’il s’agisse de l’éducation, du système de santé ou de l’appareil judiciaire".
C'est une conviction particulièrement convaincante, qui n'a besoin d'aucun commencement de preuve. Elle ne fait que confirmer tout ce que nous savions, en France, de la Libye révolutionnaire... avant d'avoir lu, par exemple, "La Libye révolutionnaire dans le monde (1969-2011)" de Françoise Petitdemange.