Ces dernières semaines, les médias ont amplement relayé une information en provenance du ministère de l'intérieur : l'abaissement du seuil (en nombre d'habitants) à partir duquel s'applique le scrutin de liste à vote bloqué aurait pour effet d’augmenter sensiblement le nombre de femmes dans les conseils municipaux. Plus précisément, le chiffre de « 16.000 femmes supplémentaires » a été avancé dans un premier temps concernant les communes concernées, c’est-à-dire les communes se situant entre 1.000 et 3.500 habitants, qui étaient jusque là soumises à un autre mode de scrutin, dans lequel le « panachage » était possible (rayer des noms sur les listes ou en rajouter, sans dépasser le nombre de sièges possible au conseil municipal). Il va sans dire que ce chiffre n’est qu’une prospective, puisque les élections n’avaient pas encore eu lieu au moment de son élaboration et sa diffusion.
Dans un article plus ancien (datant du 16 mai 2013), le « Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes » avait annoncé un autre chiffre, plus important encore : « 20.000 femmes de plus entreront dans les conseils municipaux en 2014 ». Cette estimation provenait d’un calcul simple : entre 1.000 et 3.500 habitants, la proportion de femmes allait passer de 30 à 50% grâce à la loi sur la parité.
Divers médias, à l’approche des élections, non contents d’avoir trouvé sur le web des chiffres contradictoires avec ceux annoncés par le ministère de l’intérieur (20.000 ? 16.000 ?), ont obtenu confirmation du « Haut Conseil » sur ce chiffre de 20.000.
Pour ajouter à la confusion, le chiffre de 20.000 a également été annoncé par le ministère de l’intérieur après le 6 mars, mais, à regarder de plus près, il ne portait pas du tout sur le même objet : il s'agissait de 20.000 « candidates » supplémentaires, une statistique produite à partir des candidatures déposées jusqu’au 6 mars 2014. Ce chiffre ne concernait d’ailleurs pas spécifiquement les petites communes qui changent de mode de scrutin…
Il est temps de faire le point sur toutes les erreurs produites.
Disposant pour ma part d’un instrument fiable pour effectuer des calculs précis – le Répertoire national des élus –, j’ai réalisé quelques calculs simples que je reproduis ici en pointant les erreurs des uns et des autres, et en montrant au final que, sous couvert de parité, c'est un tout autre effet auquel aboutit ce changement de règle de scrutin.
D’abord, il faut différencier, dans la tranche de communes concernée, trois « sous-tranches », parce qu’elles ne disposent pas du même nombre de sièges au conseil municipal. Ensuite, le chiffre de 30% de féminisation des conseils municipaux annoncé par le « Haut conseil » est tout simplement faux. Il varie - pour la dernière mandature - entre 34 et 37,6% selon la tranche (et donc jamais en dessous de 34%). Ensuite, prendre un taux de 50% de féminisation comme prospective pour les conseils municipaux à venir est utopique et faux. En effet, on sait que plus de 83% des têtes de listes sont des hommes, ce qui déséquilibre déjà la parité parmi les élus (rappelons que le nombre de conseillers municipaux est toujours impair), et que l’immense majorité des listes d’opposition, si elles obtiennent quelques élus, commencent elles aussi par un homme. Le plus simple est de prendre le taux actuel de féminisation pour les communes les plus proches déjà concernées par ce scrutin à liste bloquée (juste au-dessus de 3.500 habitants) : un peu moins de 48%, on va dire, au mieux, 48%. En appliquant les gains en féminisation aux trois tranches d’habitants concernées, on obtient les résultats suivants :
1) 2965 communes entre 1000 et 1499 habitants, 15 CM par conseil, cela fait 44 475 conseillers municipaux. Avec un taux actuel de féminisation dans cette tranche de 34,0%, cela fait 15 121 conseillères municipales actuellement. Gain estimé : 6 227 femmes supplémentaires (pour un taux maximum de féminisation du conseil de 48%).
2) 2585 communes entre 1500 et 2499 habitants, 19 CM par conseil, cela fait 49 115 conseillers municipaux. Avec un taux actuel de féminisation dans cette tranche de 35,2%, cela fait 17 288 conseillères municipales actuellement. Gain estimé : 6 287 femmes supplémentaires (pour un taux maximum de féminisation du conseil de 48%).
3) 1163 communes entre 2500 et 3499 habitants, 23 CM par conseil, cela fait 26 749 conseillers municipaux. Avec un taux actuel de féminisation dans cette tranche de 37,6%, cela fait 10 058 conseillères municipales actuellement. Gain estimé : 2 782 femmes supplémentaires (pour un taux maximum de féminisation du conseil de 48%).
Le nombre de conseillères municipales supplémentaires serait donc au maximum de 15 296. Moins que les 16.000 annoncés par le ministère de l’intérieur (mais c’est tout de même le chiffre le plus proche). Mais loin derrière les 20.000 annoncés par le « Haut Conseil ».
Concernant ce chiffre de 20.000, le calcul effectué est bien plus étonnant. En appliquant le raisonnement de celui/celle qui l’a produit (passer de 30 à 50% en taux de féminisation), on obtient non pas 20.000 femmes supplémentaires, mais 36.100 femmes supplémentaires ! Comment expliquer alors que l'on passe de 36.100 à 20.000 ? Mystère…
Enfin, chose qui est passée complètement inaperçue dans toutes les analyses (et pour cause), c’est le calcul du nombre de femmes supplémentaires par conseil municipal dans ces communes nouvellement touchées par le loi sur la parité : en moyenne 2,2 femmes de plus par conseil ! (2,1 pour la première tranche, et 2,4 pour les deux autres). Présentée ainsi, la révolution paritaire due à cet abaissement de seuil fait pschitt !
En revanche, ce qui me paraît être le véritable changement apporté par ce nouveau mode de scrutin est tout autre : une concentration du pouvoir sur les têtes de liste et une bipolarisation du débat entre majorité et opposition. On assiste même à une stérilisation du débat démocratique au sein du groupe majoritaire, tant les élus majoritaires ont dû, pour faire partie de la liste, faire allégeance à leur leader, ce qui leur interdit par la suite d’exprimer une voix dissonante ou de voter contre ses projets.
Pour ceux que ça intéresse, je vous renvoie sur quelques articles disponibles en téléchargement sur mon site :
http://koebel.pagesperso-orange.fr/ListePubli1.htm
ou publiés en ligne (par exemple sur le site Metropolitiques.fr :
Les élus municipaux représentent-ils le peuple ?
Dans l'ombre des maires
ou encore sur Mediapart, l'article de Mathieu Magnaudeix :
Être élu dans une majorité municipale, c'est gagner le droit de se taire