Voici donc que le gouvernement et la classe politique dans son ensemble prennent à bras le corps le danger que constitue à leurs yeux le terrorisme islamique. Mobilisation générale avec cris virils et déclarations belliqueuses. Certes, la forme est de mise, on sait faire la séparation entre la paille et le grain, entre « ismes » et les mots qui les composent. Mais les dérives apparaissent ici et là, ici un enfant de huit ans entendu par la police pour apologie du terrorisme, là une machine administrative de l’éducation qui se met en branle pour « inculquer » les valeurs de la République, ailleurs encore la formation d’un corps franc d’enseignants voué à bien décliner dans la tête de nos gamins le concept de laïcité.
De l’autre côté du mur, la pensée sociologique des gérants des quartiers déshérités observe la situation sociale, l’abandon de nos jeunes, l’économie parallèle de la débrouille quasi institutionnalisée, et répète à l’infini qu’il faut s’attaquer aux causes, à la pauvreté, au chômage, à l’exclusion, comme si, au sein même de la société où l’on vit, ces derniers ne sont pas, eux aussi, une routine quasi institutionnalisée. En fait, il s’agit de la même chose : pour les uns l’outil civique doit s’améliorer, pour les autres, l’outil intégrateur est périmé et inefficace : pour contrer le crétinisme djihadiste sévissant dans nos banlieues il suffit de faire la révolution.
Entre le pointillisme des uns et le militantisme des autres, entre le presque rien et le tout absolu, se cache la maladie mortelle de nos sociétés. Cela s’appelle l’instant. L’instant ne connaît pas la nuance. L’Histoire non plus. En tournant le dos au passé, en oubliant l’avenir, en rejetant l’anticipation en oubliant l’hiérarchie des choses, on finit par croire que le moteur fondamental de toute mutation est un deus ex machina, dont on oublie d’observer les cordes qui le font descendre dans l’arène. A chacun son deus, décliné sous toutes les formes et avec un éventail d’action aussi multiple que divers, au point de croire qu’il permettra d’élire le successeur de Moscovici, qu’il transcendera une manifestation historique en programme raisonné contre le racisme, ou qu’il permettra de mieux négocier les termes de la reprise avec l’Allemagne. L’instant de la marche grandiose des « nous sommes Charlie », suspendu dans le temps et nos mémoires ne suffit pas. La pensée philosophique, qui, en passant, ne se résume pas aux textes de Platon de Kant ou de Hegel ingurgités à la hussarde, mais à l’apprentissage long et pénible du questionnement est phagocytée par l’instant.
L’action politique s’accroche aux journaux télévisés, devenant une variable de l’éphémère. Ces derniers vous parleront pendant deux trois jours de l’Etat Islamique de l’Iraq et du Levant, puis, comme c’est trop long et que chaque seconde compte aux JT, ils ne parleront plus que de l’Etat Islamique ou du DAESH, « un non - Etat qui voudrait l’être mais ne l’est pas » selon la formule de Laurent Fabius. Ainsi, la notion de Califat, si présente au monde de l’Islam disparaît aussi vite qu’il est venu, tout comme une détermination historique qui, d’emblée, conteste les frontières que la France et la Grande Bretagne ont imposé à la Mésopotamie et se réfère au Califat de Bagdad (Abbâsides) qui avait été transposé en l’Egypte des Mamelouks à cause des invasions Mongoles, puis, sur un coup de génie pragmatique du Sultan, à Constantinople. L’Histoire aussi compte, non seulement pour comprendre le monde et ses mythologies mais aussi pour se connaître soi-même. C’est un détail historique, mais le Califat de Bagdad avait lui - même remplacé celui de Damas : se référer « à l’Iraq et au Levant » a aussi sa signification œcuménique, ou pour être plus précis, signifie une volonté de se poser au centre unifié de l’oumma.
Quand la ministre de l’éducation parle d’éducation civique c’est de tout cela qu’elle devrait parler. De l’Histoire, des mythes fondateurs qui se perpétuent et deviennent des symboles. Les fous de dieu et ceux qui les instrumentalisent en usent et abusent. Nous en avons aussi, pris cependant dans le maelström de la modernité qui ne reconnaît qu’un temps, celui du présent. L’éducation civique en occident c’est l’Histoire. C’est la philosophie. C’est les Lumières et Galilée. C’est aussi l’inquisition, le Commune, la nuit de Saint Barthélemy, la tour d’Aigues Mortes, les pogroms des journaliers italiens dans cette ville quelques siècles plus tard, c’est aussi Alberto Giacometti, Pablo Picasso, mais aussi Céline. C’est la Résistance et la collaboration à la fois. Jean Paul Sartre et Paul Morand, Jules Ferry et la Troisième République, colonisatrice sans vergogne. Ce n’est pas des valeurs déshumanisées, ce n’est pas des concepts abstraits. Ce n’est pas des règles. C’est vous, madame la ministre et c’est chacun de nous. C’est les contradictions existant entre tous nos bambins, déboussolés par les moments, bons ou mauvais, de l’instant imposé, qui rament pour trouver un sens, un questionnement qui en vaille la peine. Qui cherchent désespérément un combat à mener puisque le seul qu’on leur offre se situe dans une console trois D.