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Billet de blog 1 septembre 2015

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1. Gouvernants et gouvernés

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Une idée fait son chemin : la démocratie est un luxe. Comme les produits bio. Sans montrer son vrai visage, un système censitaire se met en place, dans lequel l’élimination ne se fait pas par l’impôt ou le sexe, mais par la notion subjective de la dette et les mécanismes tout aussi arbitraires qui l’augmentent ou la multiplient au bon vouloir du marché et des eurocrates. Parallèlement, un aréopage de gouvernants, quel que soit leur étiquette politique, se cooptent en majorités « responsables », laissant à la marge citoyens et partis montrés du doigt comme populistes irresponsables dès lors qu’ils essaient de contester le monolithe politique écrasant les peuples au nom d’une efficacité technicienne libérale se proclamant apolitique. Tout discours alternatif doit être écrasé justement parce que cette politique n’est ni efficace, ni apolitique, ni même libérale au sens que lui donnait Adam Smith,  puisque les règles ne sont pas les mêmes pour tous, et que les exceptions structurelles situées loin des rivages faussent la concurrence, installent une inégalité devant l’impôt et assument sans vergogne la loi du plus fort.  Cette politique privilégie les taxes aux dépends des impôts, et réussit à transférer massivement du patrimoine  depuis les plus pauvres vers les plus riches. Aussi bien au niveau individuel qu’à celui des Etats.  Ce système politique ne conçoit qu’une seule manière de faire et marginalise tout discours alternatif. Il trouve sa meilleure expression au sein du parlement européen où rôles fonctions et pouvoirs sont savamment distribués entre les partis systémiques. Ailleurs, au sein de certains pays membres, des majorités sont formées par les partis s’étant affirmés opposés avant les élections,  laissant invariablement au citoyen un goût amer d’être floué. Ces majorités en apparence oxymores se déclarent comme un dernier rempart contre des extrémismes souvent imaginaires, parfois réels mais toujours marginaux. Ces derniers cependant se renforcent en réaction à ce consensus mou et unidimensionnel, le justifiant à postériori, dans une sorte de cercle vicieux ou les uns légitiment les autres.  On peut aller plus loin : produire des situations chaotiques ailleurs, en affirmant que cela se fait au nom d’un ordre mondial rêvé en  y menant des guerres ponctuelles, permet la pérennisation des ces « régimes consensuels » qui se déclarent engagés contre les menaces qu’ils ont eux mêmes créé. Globalement, il s’agit de répondre systématiquement à des urgences, en bannissant la réflexion et l’analyse du pourquoi qui, lui, exige du temps. Il faut donc, dans un premier temps expulser toute pensée hétérodoxe, puis la pensée tout court.   

Tout au long des années 1970-1980, un consensus similaire en Allemagne et en Italie (mais aussi, dans une moindre mesure, aux Pays-Bas) enfanta d’une radicalisation violente, endogène, générationnelle et post soixante – huitarde qui  refusait deux choses : l’oubli obligatoire du passé nazi et fasciste ou de la collaboration d’une part, et la cause de cette violence faite à la mémoire, c’est-à-dire la logique de la guerre froide. Cependant, les gouvernants de l’époque avaient, contrairement à ceux d’aujourd’hui, un atout : le système capitaliste semblait garantir un futur meilleur que le présent, sous la forme d’un « enrichissement socio-démocrate » qui, déjà, donnait une emphase à la consommation (et aux biens de consommation), à l’aventure d’un épanouissement personnel matérialiste s’opposant au « monde de la pénurie » soviétique. Le rêve vendu étant celui d’une expansion sans limites des nouveaux espaces de consommation et d’une technologie prométhéenne donnant réponse à tout, face à un monde communiste fermé et totalitaire qui inventait le bien être statistique imaginaire. Confondre « liberté » et « liberté de consommer » était possible dans un monde ou la prédation du « Tiers Monde » était encore la pierre angulaire de notre confort mais aussi de nos contestations. En vrac, Guerre du Vietnam et Frigidaire, « mieux vaut être rouge que mort » et Fiat 500, premiers pas sur la lune et invasion du Cambodge, Woodstock et écrasement des mineurs boliviens, « American way of life » et coup d’Etat au Chili, Trilatérale et carnage massif en Indonésie, 4L et Biafra, centrales nucléaires et guerre des six jours, apartheid, Mobutu, Bokassa et loi sur la contraception, Beatles et Bloody Sunday, etc.

Ce monde où discours et anti - discours sont issus de la même matrice - celle de l’interprétation du réel -,  n’existe plus.  Entre temps, le vide créé par la crise des partis politiques a été comblé par la télévision, la publicité, la communication en tant que véhicule d’un monde imaginaire, celui, comme le disait si justement Jules Dassin, qui permet aux pauvres de plaindre les riches.  Pour le dire autrement, la croissance des nantis devient la croissance tout court.

Entre temps, l’anti - discours lui-même s’est fourvoyé dans la défense du futile, du marginal, du fantasmatique, ouvrant non plus « un deux trois Vietnam » mais menant une multitude de combats aussi disparates que contradictoires, mais qui n’ont comme dénominateur commun que le bien être de la « liberté individuelle de consommer » (sainement, sans entraves, partout et de la même manière, etc.)

Entre temps, les révolutions informatiques, essentiellement de communication, permettent à chacun de se sentir unique, au centre du monde, un monde toujours aussi méconnu mais violé quotidiennement par un désir d’œcuménisme, de mimétisme, d’universalisme, qui ne déplait pas aux maîtres de la globalisation. Du droit à l‘ingérence à l’aide humanitaire, du volontariat à la participation aux guerres de l’islam nostalgique, de la défense du désert  à celle la forêt amazonienne ou de la banquise, du droit des chinois de procréer à leur guise à celle des phoques pour qu’ils puissent vivre leur vie tranquilles sans prédateurs, des manifestations pour l’éradication des corridas à celles pour les droits des femmes saoudiennes à conduire une voiture, le dénominateur commun se situe dans une certitude quasi biblique sous entendant que notre vie, nos libertés, nos désirs, nos convictions et nos défauts sont universels.  Cela sous-tend une autre conviction, non assumée : ce système politique érodé, fatigué, inique, antidémocratique, inféodé aux plus puissants, corrompu et inefficace reste une valeur à défendre ne serait-ce que du fait que l’on peut toujours le critiquer, voir le « réformer » à la frange. Il s’agirait en fait d’une autre défense, celle des privilèges que les privilégiés insistent que nous possédons toujours et que l’on risque, si on n’est pas suffisamment sages, de perdre.

Ce qui différencie le récit d’un monde imaginaire des gouvernants de ceux ses gouvernés c’est qu’il est constant : il vend de la peur et invente invariablement des nouveaux désirs. Il peut aussi montrer son vrai visage post – totalitaire en cas de besoin, comme en Grèce. Il peut compter dans ces cas sur le suivisme des médias et l’atrophie millénariste et éclatée des récits des gouvernés…

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A suivre…       

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