Il y a quelques mois, le patron du syndicat des dockers du port de Shanghai nous déclarait « Nous sommes le plus grand port du monde, à l’image de notre pays, le plus puissant du monde. C’est ça le changement. Avant on était pauvres, aujourd’hui on est sommes riches ». Riches ? Officiellement du moins, son salaire est de trois cent euros. C’est bien moins de ce que paient les hommes d’affaires pour une nuit d’hôtel dans un hôtel « convenable » à Shanghai. C’est le tiers du prix d’un i phone partiellement fabriqué et vendu sur place. Ce qui n’empêche pas, à chaque lancement d’un nouveau produit, que la queue des clients de l’Apple store local soit égale ou supérieure à celle de Londres ou de Paris. Sans vouloir multiplier les exemples, il nous paraît justifié de donner aussi le salaire d’une ouvrière d’un laboratoire pharmaceutique à Bombay (sur plus de trois mille), produisant quasi exclusivement pour l’industrie pharmaceutique (Sanofi, Pfizer, GlaxoSmithKline, etc.) : 300 roupies par semaine, soit autour de 3 euros. Prix d’une boite de 28 Cialis@ de 5mg en France : 100 euros. Coût de transport d’un conteneur dit de base (20 pieds x 8 x 8,5) depuis l’Inde jusqu’à Rotterdam : 500 dollars. Les prix conjugués du travail et du transport permettant de la sorte une plus value phénoménale pour toute entreprise qui s’insère au processus de la globalisation. Celle-ci n’étant autre chose qu’un mécanisme permettant de produire au moindre prix (chez les pauvres) et vendre avec le plus grand bénéfice possible (chez les riches).
Il n’est donc pas étonnant d’observer au nord de l’Europe l’expansion arrogante des ports entourés de friches industrielles. Par ailleurs, de l’Estonie à la Bulgarie, de la Pologne à la Croatie, à l’ensemble des pays nouvellement « intégrés » à l’UE, le salaire minimal se situe au dessous de 400 euros. Au sein des pays de l’ex CEE, il se situe trois à quatre fois plus haut (autour de 1.400 euros). Au sein des pays dits « en restructuration » on essaie de rabaisser les salaires au niveau des « nouveaux venus » : il sont déjà autour de 500 euros en Grèce et au Portugal, et de 700 en Espagne. Cette réalité, observable à l’œil nu, n’est pas autre chose qu’un levier pour niveler par le bas la totalité ou une grande partie des salaires de l’ensemble de l’espace européen. Sans chichis néolibéral, ni baratin social-démocrate. Et c’est bien ce processus que l’on nomme « réformes ».
On ne parle jusqu’ici que d’économie produisant des biens. Cependant, celle-ci ne représente plus moins de 10% de la masse monétaire du PIM (produit intérieur mondial). L’argent, réel ou fictif, circule désormais en « cercle fermé » au sein de l’économie des services privés sous toutes ses formes (Banques, assurances, intermédiaires - brookers, produits financiers, marché obligataire, etc.), laissant aux services classiques de l’Etat (poste, enseignement, santé, etc.) la part du pauvre. Globalement, ce que nous pouvons nommer « le marché et ses dérivés » s’approprie près de 86% du PIM. Et depuis 2010, l’investissement le plus rentable devient celui de la dette, qu’elle soit « souveraine » ou privée. Par ailleurs le marché parasite les entreprises déjà bien portantes, générant des capitalisations hallucinantes, et délaisse son rôle de financement des petites et moyennes entreprises, oubliant au passage que théoriquement la bourse ne devrait servir qu’à ça.
Ainsi, la lutte de classes, ou plutôt la surexploitation par une toute petite minorité de la population mondiale se manifeste dans tous les domaines. Celui de l’environnement, de l’éducation, de la santé, de la sécurité, des transports, de la culture, de l’eau, des matières premières, des assurances, etc., et pas seulement sur le travail, la production artistique, l’agriculture, l’industrie ou la recherche, accaparés par une machinerie destinée à produire le plus petit dénominateur commun de besoins, uniformisant images et désirs, rêves et envies.
Au sein des pays occidentaux, cette « normalisation par le bas » des besoins se fait par l’appauvrissement des récits à travers ce que l’on nomme « entertainment » et par la consommation du futile, que l’on propose sous le nom de « qualité de la vie ». Pour prendre juste un exemple, il suffit d’observer de plus près la publicité du secteur - aujourd’hui coupable - de l’automobile : une voiture vous permet de trouver du travail, de communiquer, d’être télé - transporté dans un futur radieux ou des paysages exotiques, de ne pas être malade, de perpétuer une famille béate et comblée, de vivre dans un paradis phantasmatique. Plus question de vous raconter à quoi sert une voiture, dans quel environnement, combien elle consomme et combien elle pollue. Pour exister, une voiture doit être - et faire - tout sauf ce à quoi elle est destinée.
Cette manipulation d’une « douce » violence en cache une autre : partout ailleurs, dans les mines, les puits de pétrole, les usines extra territorialisées, cette fabrique du rêve utilise la force, la violence, les pouvoirs, les sociétés écran, a corruption, les armes, pour perpétuer la pauvreté et éliminer toute velléité d’une vraie vie meilleure. Et ici, pour ne pas se défaire de son pouvoir, elle transforme le citoyen en consommateur et le salaire en emprunt.
On l’a dit : la liberté n’est pas la liberté de consommer. C’est pourtant la seule qu’on vous laisse.
A suivre : 3. Quelle riposte ?