Reiner-Werner Fassbinder démontrait, il y a presque trente ans, que la violence, la provocation faisaient partie de l’esthétique. Que le désir, l’appel aux abîmes de l’attraction, la cruauté et l’exhibitionnisme étaient les obstacles auxquels il faut s’affronter pour assumer la différence. Accepter l’autre fait partie du dépassement de soi, et n’est en aucun cas de suivre les indications de la civilité et du politiquement correct. Ce n’est pas du savoir vivre pour jeunes filles bien éduqués. C’est de la violence, de la sauvagerie froide, de la répulsion désirée et de l’attraction malsaine. Ce n’est pas une fable, des règles de bienséance. C’est brut et brutal, c’est fascinant. Presque trente ans après, et le monde, notre monde, a changé. Aujourd’hui, l’appel à la tolérance prend les formes et le contenu d’une fable édulcorée se voulant généreuse par nature. Un conte pour enfants, adressé aux adultes. Ou à des adultes - enfants s’efforçant de le rester. Will Self les désigne, ces perpétuels adolescents que nous sommes tous devenus comme des « kidult », êtres hybrides ayant choisi ou ayant été emmenés a vivre perpétuellement un statut de mi - enfant, mi - adulte, cherchant la révolte dans la symbolique de l’école buissonnière, l’humour sarcastique et, par ailleurs, acceptant tout. N’ayant plus à façonner une conduite de vie, nous voilà à tricher en fumant en cachette ou en exhibant, comble de l’audace conviviale, un pétard mouillé. Les enfants, ou plutôt les enfants d’il y a quelques décennies avaient l’imagination galopante, donnant leurs formes, leurs images individualisées, leurs horreurs, aux fables de Perrault, d’Andersen et autres frayeurs formatrices de la conscience et de l’apprivoisement de l’angoisse. J’espère qu’ils continuent à le faire contrairement aux adultes rongés et évaporés par la naturalité correcte, par cette nouvelle version du livre des bonnes manières et par une éthique anodine. Car ces adultes non assumés sont à des lieues des canards migrateurs et des sirènes estropiées de notre temps. Ils observent Guantanamo, Kaboul ou Athènes comme des vierges offusquées par une violence d’un autre âge, aveugles à la violence blanche et grise qu’ils subissent quotidiennement, se demandant pourquoi ils sont au mieux de mauvais poil, au pire aspirés par des désirs de suicide. Schizophrènes, nous exigeons de l’ordre, de la sécurité dans nos vies et nos emplois, de la pérennité, et rêvons secrètement d’un grand soir fantasmatique qui mettrait fin au prix que nos corps et notre âme doivent payer quotidiennement pour tout cela. L’Autre, la différence, les voies alternatives, la vraie révolte ont un prix, souvent exorbitant. Ce n’est pas une question de couleurs ni de bonne ou mauvaise humeur. Ni même de sacerdoce militant. Se surpasser, vaincre ses angoisses et les injustices qui s’accumulent en soi-même et qu’on s’inflige quotidiennement n’est pas un jeu d’enfant, c’est un jeu de massacre. Même s’il est salutaire…
Billet de blog 1 décembre 2013
Le prix de la radicalité salvatrice
Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.