L’autre jour, en passant par Essaouira, ce port magnifique du sud Marocain, je ne croyais pas mes yeux en regardant tous ces chalutiers, ces barques majestueuses affrontant les vagues immenses, les pêcheurs par centaines et, enfin, du poisson frais. Je m’étais habitué aux ports de pêche moribonds de Sète ou de la Ciotat, aux chalutiers que l’on compte sur les doigts de ses mains à St Brieuc ou à Concarneau, à tous ces ports qui ne sont plus que de « plaisance », gardant quelques pêcheurs juste pour le bonheur des yeux des plaisanciers. Des ports de pêche qui n’ont plus que le nom j’en pourrais en citer des dizaines, commençant par ceux qui, aux Canaries, font face au Maroc et finissant aux îles grecques, jadis vivant de la mer et aujourd’hui de la manne touristique. Faites pour les armateurs nordiques, les lois et réglementations européennes tournent le dos à la vie, à la mer, à l’aventure, au nom d’une efficacité industrielle et d’une logique environnementale tatillonne et bureaucratique qui oublie que les hommes et la mer vivent ensemble depuis des millénaires et que l’homme fait aussi partie de l’oikos maritime, n’étant pas forcement un prédateur irresponsable. Vous me direz, ces règles ont du bon, les quotas aussi. Certainement, si elles étaient respectées et cohérentes. Mais qui peut nier que désormais ; aux Canaries – pour ne donner qu’un seul exemple - les pêcheurs ne font plus que la va – et - viens entre les chalutiers géants ukrainiens et l’enregistrement portuaire des ports autonomes espagnols, achetant du poisson aux premiers et touchant les subventions européennes aux seconds.
Tant qu’il s’agit de poisson frigorifié et pas de clandestins africains, tout le monde trouve son compte, sauf, la naturalité, la nature elle-même. Car on oublie qu’à force de réglementer la nature revient au galop, et que la taille des filets ou les quotas de pêche (ou des jachères) concernent surtout l’homme et son propre environnement, les rythmes de la nature, les saisons, les solstices et les vagues et, qu’à tout vouloir réglementer (ne soyons pas naïfs, la fiance n’en connaît quasiment aucune) on finit par faire de l’interdit la règle et des désormais rares travailleurs de ces métiers des filous. Allons plus loin : les conventions maritimes, même les plus récentes, préservent farouchement le laisser faire - laisser aller au sein des océans. Toutes les flottes dites nationales sont très majoritairement constituées de bateaux qui exhibent fièrement leur pavillon de complaisance, quand elles n’en changent pas à la demande du client ou du brooker. Faute de pouvoir règlementer la mer, on réglemente les ports, les zones d’exploitation maritime et les plus fragiles, c’est à dire les pêcheurs. Car les armateurs commerciaux, qu’ils soient grecs, français ou danois, forts du fait que près de 90% des échanges commerciaux sont maritimes, dictent leur loi. Et grincent des dents chaque fois que l’on essaie de les contrôler. Au moment même où les flottes de bateau de pêche s’effilochent, victimes du prix du carburant, les armateurs préviennent que la taxe carbone sur ce même carburant que l’Europe voudrait leur imposer doublera le prix du transport. Et donc du carburant lui-même. Quand on sait qu’un super tanker transporte de quoi alimenter en énergie la Californie pendant quinze jours, il n’est pas difficile de conclure que la taxe carbone sera payée exclusivement par les chalutiers et autres vraquiers de cabotage. Comme toujours, les petits se conformeront aux règles de l’UE et les grands à ceux du Cambodge ou du Liberia. Tout en montrant du doigt les pêcheurs ruinés des Canaries…
Soyons clairs, et assumons ce que l’on dit : la fameuse concurrence, qui touche le prix du travail comme celui du poisson frais, les prestations sociales comme la taille des petits pois, la sécu comme les terroirs et de la différence, le riz de Camargue comme les tongs thaïlandais, nous transforme en morts vivants.
A Essaouira j’ai retrouvé le goût. Goût du poisson et de la vie, goût du possible. Je me suis dit qu’après tout, les jeux n’étaient pas faits. Et qu’on ne va pas nous standardiser comme les tomates bataves au nom de la fatalité de la dette. Bonne année à tous.