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Billet de blog 2 février 2016

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Daesh pornographe : Thanatos contre Eros

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Le porno n’existe quasiment plus. Ou plutôt le porno comme on le connaissait, s’adressant  aux damnés de la terre, aux populations sanctionnées par le manque et le désir inassouvis : vieux, immigrés, marginaux, différents, estropiés, solitaires qui se refugiaient dans les sales obscures décrépies, cherchant un rapport éphémère et bon marché, ou la masturbation sous un vieux journal. Décor sordide, images sordides sans queue ni tête, actes monotones, musique de pacotille, soupirs et cris de circonstance, banalité et banalisation extrêmes.  

Modistes, pub, téléréalité et stars de la musique ont changé la donne, aidés par l’explosion des réseaux sociaux et les plateformes vidéo d’internet.  Le porno a ainsi connu deux mutations : il s’est transformé en produit de luxe, en mécanisme de promotion de toute marchandise, et il est entré avec fracas dans l’espace des jeunes, des classes moyennes, et accompagnant désormais la création musicale contemporaine.  Madona, Lady Gaga ou Beyoncé - pour ne citer qu’elles parmi une myriade d’autres – déshabillées par les plus grands créateurs, ont donné le la, exterminant tout tabou et devenant le modèle a suivre par des « like » sonnants et trébuchants et à l’imiter, plus ou moins avec bonheur. Chez les ados, l’espace privé a disparu, emporté par une multitude d’exhibitions où tout un chacun expose ses supposés atouts, sa vie,  transformant la zone de l’intime en un cv compétitif par rapport aux  modèles d’une sexualité aussi glamour que fictive et retouchée.

Eros perverti, trafiqué, globalisé, consommé, exhibé semble modélisé de manière à inclure tout et son contraire, féministes et antiféministes, machos et homos, jeunes et moins jeunes, au sein de récits aussi divers qu’uniformes, la vérité et le désir de chacun devenant universels, le faux et l’usage du faux se transformant en archétypes niant toute hiérarchie,  le présent, l’instant devenant un mouvement perpétuel.  Il en résulte une saturation, d’autant plus que le palpable ne relaie pas cette image phantasmatique, loin de là, créant des frustrations inégalées, comme à chaque fois que le récit ne construit pas, ne participe pas au réel.  Loin d’inclure la violence, le pathos, la tragédie, l’Eros moderne se conjugue avec des paillettes d’une euphorie factice, ce qui, en d’autres temps, définissait corruption et pornographie pour les uns, maisons closes pour les autres (mais plus souvent les mêmes).

Au champ du virtuel, ce vide de la dualité Eros - Thanatos laisse ce dernier autonome, ultime refuge d’une frustration aussi violente qu’inexplicable.  

Se croyant au centre de l’univers du récit de la virtualité mais aussi du discours formaté du pouvoir, une partie de la jeunesse s’aperçoit, à ses frais, qu’en réalité elle est niée, plumée, et surtout marginalisée. Le pouvoir lui déclare qu’elle est unique, importante, précieuse, le champ virtuel lui vend un monde où tout est possible, mais le réel la condamne au statut du consommateur sans moyens de consommer. Son centre du monde n’est en fait qu’une cellule que les images essaient de transformer en plage paradisiaque.  Mais l’endorphine n’opère plus. Il n’y a pas d’amour dit-on, seulement des preuves d’amour.  Au sein d’un environnement où le réel est aussi consumériste que excluant, le refuge tout désigné, reste la haine. De soi et des autres. Thanatos, autonome, antihistorique, cesse d’être l’obstacle à dépasser en créant, en contestant, en imaginant. Il devient le dieu tout puissant, apocalyptique et barbare. Puisque le virtuel ne s’accorde pas avec le réel, autant virtualiser, exhiber un réel barbare et violent. C’est cette niche, merdique, sombre et isolée – pornographique à l’ancienne - que les manipulateurs du Daesh exploitent. Nos images à nous, disent-ils, sont réelles. Nous sommes les seuls à avoir le courage d’exhiber l’intolérable, les seuls à assumer vos frustrations et y répondre.

Il faudrait dire un jour à monsieur Valls, qu’agir dans le noir de l’âme et des frustrations, agir sans comprendre  - et surtout sans chercher à comprendre -, c’est aussi déshumanisant que les actes des âmes perdues dans le dédale du virtuel et du réel entrelacés, où on ne sait plus ce qui est vrai et ce qui est phantasmatique. Il n’y a pas d’humanité pas plus qu’il n’y a pas de barbarie : il y a des preuves d’humanité que l’on désire désespéramment - et qui ne viennent pas -, et des preuves de barbarie que l’on confond avec le virtuel. On peut déshumaniser de plusieurs manières, mais aujourd’hui celle ci semble la plus tendance…

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