Dans ce petit pays exsangue, condamné à être perpétuellement écrasé par le soleil et limité par la muraille marine on a jadis inventé le concept de l’autre. Un autre deviné au delà les ombres des îles qui se suivent et ne se ressemblent pas, au delà d’une mer mystérieuse, au delà d’un horizon aussi énigmatique qu’excitant. Patrie aussi bien de la litote spartiate que de la verve athénienne, la péninsule grecque inventa aussi la Pythie et lui donna un rôle : celle qui ne dit rien et ne cache rien. Interpréter ses paroles impliquait que l’homme s’implique. L’interroger exigeait que l’on s’engage, que l’on explique, et surtout que l’on décide. Se mettre à nu et inventer le réel, se tromper, certes, en s’abandonnant aux appels alléchants des Sirènes, mais se redressant aussi, en choisissant toujours la condition humaine, la préférant à la quiétude morbide des dieux, qui, en Grèce, à l’image des hommes, n’ont jamais été infaillibles. Pas de bobards, on a besoin de vous, de l’inexplicable, de l’injuste, de l’irrationnel, mais ce n’est pas vous - que nous avons gracieusement inventé -, qui nous imposeront l’immobilité de vos certitudes. Oui au destin, à condition qu’il soit juste un obstacle à franchir, un naufrage à dépasser, un échec à braver. On emmerde les bienveillantes, on abandonne joyeusement Circée et son immortalité. Celle qui ne dit rien et ne cache rien, nous guide et vous dévoile. Pauvre Dijsselbloem, qui croit qu’en répétant des phrases toutes faites, sur le « travail à accomplir », le « chemin à faire », la « confiance à (re-) instaurer », croit toujours que là où Circée a lamentablement échoué, lui pourra réussir. Pauvre Schäuble, qui plaint les pauvres grecs d’avoir élu un gouvernement qui ne lui plait pas. Il devrait se remettre à la lecture d’Eschyle, et bien écouter les pleureuses des Perses. Pauvre Hollande qui exige des grecs « d’honorer leurs engagements », lui qui a transformé ses promesses en vin dix fois dilué, pour endormir un peuple aveuglé par sa personne et qui se plaint désormais d’être mal compris. Pauvre Merkel dans son rôle de Procruste, voulant mouler les hommes et les peuples en produits identiques.
Celle qui ne dit rien et ne cache rien lui envoie un pilote fou, un présage disait-on en Grèce, qu’il faudra expliquer pour s’engager. Oui, ce monde crée des fous, comme tout autre. Mais, contrairement au village d’antan, personne ne le voit, personne ne l’écoute, il devient invisible, verre transparent, se transformant en un éclair en miroir d’une société malade de solitude, de rêves brisés, d’incommunicabilité. Pauvres experts qui cherchent la faute dans l’instant de folie, ou de défaut d’une dette mensuelle et monstrueuse à la fois, tandis que, tel l’éther, elles les englobe, nous englobe, népenthes saoulant et raconteur d’histoires mensongères, paradis artificiel démasqué par les presages de celle qui ne dit rien et ne cache rien…