« Nous vivons sous le signe de la corruption et du besoin. Nous manquons de tout, de l’oxygène divin, du feux hypercosmique, et surtout de la vérité, demeurée solitaire dans les hauteurs de l’hyper monde ». Valentin, en affirmant ces idées caustiques, fut chassé de l’Eglise, quitta Rome et se rendit à Chypre pour former une communauté de disciples. Sans vouloir entrer dans la mythologie gnostique, force est de constater que des siècles plus tard, c’est du monde hellène que des affirmations aussi claires et des accusations aussi lucides, non plus à l’égard de l’Eglise mais de la doxa européenne néolibérale engendrent les mêmes excommunications. Comme si, perdus dans les limbes de leurs propres contradictions, les clercs modernes, en transe hystérique, préfèrent le sabordage global plutôt que d’avouer leur inefficacité aussi destructrice qu’intéressée. L’Eglise à l’époque brûla les contestataires chantres de la lucidité, mais perdit à jamais la bataille. Perdant à jamais le cœur des hommes, elle se transforma en institution normative, en instrument géopolitique, en arme létale du conformisme et ne survécu que par la force.
Le premier ministre grec ne dit pas autre chose dans son article au journal Le Monde. En concluant par le fameux « Pour qui sonne le glas » d’Ernest Hemingway, il rappelle qu à la la lutte sans fin entre le « no pasaran » républicain et le « viva la muerte » franquiste, l’issue, malgré les apparences, n’est pas celle que l’on croit. Qu’être victorieux par la mort n’est qu’un effet d’annonce, un résultat aussi illusoire que l’immortalité d’Achille : en fin de compte, les ruines annonciatrices de l’Espagne ne nous disent, avec six ans d’avance, qu’une seule chose, si bien résumée par Paul Valéry : « nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles ».
La Grèce fait sens. Dans ce monde du futile, de l’insensé, de la peur et des mécanismes normatifs, ce pays nous rappelle que quiconque claironne sa vision du monde et l’impose par la force mène un combat aussi futile que destructeur. Certes, il commence par détruire l’autre, la polyphonie est sa première victime le sens la suivante ; mais il finit par se détruire lui-même : l’Histoire, celle que l’on essaie en vain de transformer en outil normatif, en légende sécuritaire, en nostalgie désincarnée revient toujours, intacte, pour leur dire que « tant qu’il y aura des hommes », le mythe du droit du plus fort n’est que la semence de leur propre chute dans les plus profonds des Tartares.
Qui sème ce vent normatif et mortifère devrait, s’il le peut toujours, perdu dans ses discours vides et dérisoires relire Eugène Zamiatine : « le monde se développe uniquement en fonction des hérétiques, en fonction de ce qui rejette le présent, apparemment inébranlable et infaillible. Seuls les hérétiques découvrent des éléments nouveaux dans les sciences, l’art, la vie sociale. Seuls les hérétiques sont l’éternel ferment de la vie »…