En raison du processus même du blanchiment et de la fongibilité des fonds, la preuve devient souvent impossible, même s’il n’existe aucune adéquation entre les revenus légaux de la personne soupçonnée et l’état de sa fortune (probatio diabolica en droit romain). Par ailleurs, le délit autonome de blanchiment, même s’il existe, essentiellement depuis la convention de Palerme, est une gageure pour tout enquêteur. Pour cette raison, la pratique qui concerne plus de 90% des cas de blanchiment consiste à chercher les délits associés qui eux sont relativement plus identifiables (trafic de drogue, prostitution, etc.).
Les conventions de Vienne et de Palerme imposent aux Etats signataires de prévoir le « renversement de la charge de la preuve ».
Ainsi, c’est au trafiquant de drogues de prouver que les biens en sa possession ne sont pas dérivés de ces activités criminelles. De la sorte, le délit autonome de blanchiment est quasiment impossible à prouver si l’auteur du délit n’est pas un criminel ou lié à une activité criminelle bien identifiée. C’est le problème que l’enquêteur rencontre dès lors que ses investigations concernent le terrorisme ou « les grandes fortunes » : dans ces cas, l’argent est issu d’activités « licites », il n’y a pas de « délits associés ». D’autant plus que ces derniers, certes élargis depuis la convention de Palerme, sont précisément indiqués et circonscrits. On blanchit si on fait du trafic de drogues, mais pas, par exemple, de la contrefaçon ou de trafic de cigarettes. Face à cette impasse juridique, si, concernant le terrorisme, plusieurs pays, à commencer par les Etats-Unis, ont pris des libertés (de plus en plus grandes) concernant le droit et la notion même l’Etat de droit, cela n’est pas le cas pour la finance, les grands patrimoines ou les dépôts et autres produits financiers proposés aux pays de secret bancaire renforcé (paradis fiscaux) ou ayant des activités financières ou industrielles offshore (offshore, zones franches, ports franc).
Ainsi, l’outil même pour identifier et poursuivre des actes de blanchiment est caduc. D’autant plus que les administrations, faute de pouvoir poursuivre jusqu’au bout, pratiquent le système du sharing (partage) et de la négociation. Ils entrent en pourparlers avec le blanchisseur, calculent avec lui les probabilités qu’il soit en fin de compte condamné et proposent l’abandon des charges en contrepartie d’une partie du capital blanchi. Pouvant geler les capitaux concernés jusqu’à la fin des procédures, ils s’en servent comme arme d’appoint durant la négociation.
La lutte contre la blanchiment ne concernant pas un trafiquant patenté se résume ainsi, la plus part du temps, en des comptes d’apothicaires feutrés, via les cabinets d’avocats, et prend la forme d’une transaction financière comme une autre. Si cela donne des résultats incontestables et remplit les caisses de l’Etat, il introduit par contre une relation de partenariat entre l’Etat et le délinquant. Cela dédramatise l’acte et introduit la notion d’une impunité négociée. C’est dans ce cadre qu’il faut interpréter les enjeux actuels. La sur médiatisation (justifiée) d’un cas, empêche le train - train de ces pratiques qui installent une symbiose entre le pourchassant et le pourchassé qui aboutit généralement au contentement des deux.
La fraude fiscale a longtemps été le « plus » offert par les négociateurs de l’ONU ou du FMI, pour pousser les Etats offshore à intensifier leur lutte contre le blanchiment issu du trafic de drogues. Pendant la période 1990-2005, le discours était : si vous lutter contre les trafiquants de drogues vous serez bien notés et de la sorte plus attractifs pour les capitaux issus d’autres activités (sous entendu à peine voilé : la fraude fiscale)
Les avancées enregistrées depuis la convention de Palerme ont été stoppées net avec la crise financière. Le besoin de fonds entre 2007 et 2011 a été tel, que, contrairement aux déclarations sur « la fin des paradis fiscaux », l’argent issu d’activités criminelles jusque là caché, a aisément retrouvé le chemin des paradis fiscaux et des places offshore. Au point que, en 2008, le premier investisseur au Viet Nam était… l’archipel les Iles Vierges.
Parallèlement, pour les plus grands pays dit émergeant, l’Inde et la Chine tout particulièrement, il devenait impossible d’investir sans passer par des sociétés écran, qui permettent le paiement des « associés/intermédiaires » mais aussi le « partage » du « know how » et de l’origine des capitaux. Ce mécanisme a banalisé l’utilisation des sociétés écran qui, désormais servent surtout à « diluer » une éventuelle responsabilité pénale.