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Billet de blog 5 avril 2015

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Tout ce qui n’est pas interdit est obligatoire

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Nos sociétés sont complexes. Cependant, cette complexité cache des comportements plutôt simples.  En économie, sous forme de postulat, les mécanismes institutionnels visent un double objectif : concentrer le capital et privilégier le secteur financier. Toute « réforme » vise en fait à niveler par le bas, à pénaliser le travail au profit du capital, à remplacer le salaire par la dette, qui devient l’investissement le plus rentable de tout « investisseur ».  En information, il s’agit de faire le contraire : multiplier les stimuli à l’infini, tuer l’hiérarchie des choses, répéter sans cesse un discours technique qui en cache un autre, idéologique, visant à faciliter et promouvoir l’idée d’un monde rodé et immuable, où toute mise en cause est soit une turbulence, un accident, une péripétie regrettable, soit une réaction aussi nostalgique que naïve impliquant que ceux qui la diffusent sont des dangereux utopistes.  Enfin, toute expression politique qui conteste cet état de choses est qualifiée de populisme. Ce mécanisme - que nous avons à maintes reprises qualifié d’eschatologique - ne peut nier la réalité qu’en travestissant les mots et les expressions qui définissaient les piliers politiques, philosophiques et sociaux de l’Etat de droit depuis les Lumières.  Les concepts même de démocratie, de questionnement, de justice sociale, d’une justice et d’une presse indépendante ; le concept de réforme, celui de progrès, ne représentent plus désormais ce qu’ils indiquaient jusqu’à la moitié du vingtième siècle.  En prenant la complexité en otage,  tout pouvoir désormais génère un glissement vers des représentations  indiquant que le but justifie les moyens (héritage de la gestion du réel au sein des pays socialistes et de la guerre froide),  que le gouvernant est avant tout un gestionnaire du présent, conséquence de l’importance que prend la technostructure, et surtout du fait que ce pouvoir n’est pas tenu à agir en fonction de ce qu’il propose pour être élu (quand il l’est). Cela sous tend une conviction, très généralement partagée au sein des élites, que l’opinion citoyenne est un paramètre parmi d’autres  - sans doute la moins contraignante – et qu’il faut la neutraliser par une communication aussi éclatée que permanente. « Travailler le corps électoral » consistant à le diviser à l’infini au nom de la complexité, contraintes dites  indiscutables et des peurs prêtes à porter. Au sein de la technostructure, les termes « être sur le bon chemin », « faire des progrès » ou des « efforts », « travailler pour renforcer la confiance » « accélérer les réformes », effacent la notion même de choix, sous-tendent la fin du politique, indiquent un sens obligatoire qui lui même n’a nul besoin d’être explicité, étant considéré être l’évidence même. L’alchimie financière, elle, se sent libre et dégagée de toute contrainte, distribue sans vergogne des milliards « aux bons élèves » et pinaille sur les millions des « mauvais ».  Au sein d’un monde déclaré sous la tutelle d’une globalisation abstraite, il est suspect de faire de la diplomatie, dangereux et rétrograde d’utiliser des armes géopolitiques, considérant que l’uniformisation du modèle économique sous-tend une uniformisation de la vision du monde. Ainsi disparaissent ou paraissent incongrues les actions visant à utiliser les moyens diplomatiques et géopolitiques qui ne sont pas dans le cadre du consensus mou et flou imposé par la technostructure. En d’autre termes, il s’agit de figer, de fixer une et unique vision du monde, déterminer (avec modération) ses ennemis, passer l’éponge sur les bavures criardes, discourir sans décider sur les défauts de nos sociétés, occulter les injustices visibles pourtant à l’œil nu ou les noyer dans un cataclysme d’informations qui n’ont rien à voir, c’est-à-dire les noyer comme on noie sur les réseaux sociaux l’important par le futile. Pour définir un pouvoir totalitaire, Malaparte écrivait dans la Peau : il s’agit d'un pouvoir où tout ce qui n’est pas interdit est obligatoire. Nous y sommes…

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