Souvent on me dit que je confonds les sujets, que je fais des rapprochements hasardeux, que je crée des liens là où il n’y en a pas forcement. Je persiste pourtant à le faire, je pense même que c’est là que réside l’essence même de la pensée. Surtout quand on insiste à observer le monde tel qu’il est et non pas tel qu’il est récité par les tenants divers et multiples des pouvoirs. Surtout quand on fait de la géopolitique, c’est-à-dire que l’on étudie les espaces, les hommes qui les occupent et leurs manières de le faire. Surtout quand on fait de l’Histoire, que l’on observe ses ruptures foudroyantes mais aussi ses longs mouvements, presque imperceptibles et leurs relations qui façonnent la réalité. Surtout quand on fait de l’ethnologie, que l’on étudie les us et coutumes, les traditions ancestrales et les mutations souterraines qui influent sur les mécanismes de la mémoire et façonnent la nostalgie et les mythes.
L’essentiel étant de trouver les liens qui annihilent les récits officiels, de contester les discours sur son évidence aussi unilatérale qu’intéressée. L’essentiel étant de démontrer la responsabilité des uns et des autres face à des phénomènes que les gouvernants - mais souvent aussi les gouvernés - présentent comme unidimensionnels et isolés. L’essentiel étant d’imaginer le fil conducteur, la dynamique, la logique responsables de la fonte de la calotte glacière, de la crise grecque, de l’entropie moyen orientale, de l’hécatombe des réfugiés, de l’impasse du printemps arabe en Egypte ou du désastre Libyen, de l’impasse israélienne et de sa relation avec les monarchies du sous continent arabique… Si, pour expliquer l’Allemagne et sa politique on se hasarde du côté des deux conflits mondiaux et du Mark, on oublie la Hanse et sa politique commerciale agressive, on oublie aussi le processus d’unification du XIXe siècle, pour ne se rappeler que de celui que nous avons vécu. Or, le long processus qui démarre avec et les Cités Etats, la Hanse et culmine avec Bismarck, donne une meilleure image du « problème germano - européen » qui se traduit, en un mot, par un échange sacrificiel des espaces autonomes divers, des autorités mercantiles innovantes, des pouvoirs régionaux, au nom d’une entité métaphysique globale qui les broie, le Peuple Etat. L’Europe d’aujourd’hui rassemblant à l’espace germanique du XIXe siècle.
Il faudra trois guerres, dont deux à l’échelle mondiale, pour que cette idée romantique du Peuple Etat aboutisse et soit commune à tous les Länder. A quel prix ? Fait on le rapport entre deux « conséquences dérivées », la création de l’Etat d’Israël et la mise en place de dynasties féodales en Arabie, qui, aujourd’hui encore, « bloquent » toute solution rationnelle aux portes de cette Europe post moderne ? A moins que la rationalité se décline au prix des hydrocarbures, ou plutôt de l’idée vieillotte de leur hypothétique pénurie. Car l’Amérique latine, la Russie et l’Afrique, sans oublier l’Atlantique nord et les réserves du grand nord aujourd’hui inaccessibles - mais plus pour longtemps -, ont (et auront dépassé d’ici peu) la production arabique définitivement post pic pétrolier.
Lors l’effondrement de l’Empire Ottoman, la France et la Grande-Bretagne se sont partagé la Mésopotamie. Y sont nés ainsi des pays couvrant essentiellement l’espace mythique du califat de Bagdad, détruit puis reconstitué en Egypte. Est-il absurde que cet espace et ses hommes rêvent d’une énième renaissance d’un âge d’or, à l’heure où l’occident peine à paraître hégémonique? Est-il absurde de penser que face à l’immobilisme, aux gesticulations, aux contradictions de l’Europe, l’islam nostalgique y trouve refuge ? Après tout, et jusqu’à la décolonisation, les ancêtres des algériens ou des maliens étaient bien des gaulois, et Charles Martel a définitivement stoppé l’invasion arabe de l’Europe nous racontaient nos livres d’histoire jusqu’aux années 1980…
Le fait est que l’islam nostalgique fabrique aussi un récit, certes sanglant, mais sans équivoque. D’ou son succès malgré sa cruauté ou peut-être à cause d’elle, puisqu’il se réfère à des dynasties aussi impitoyables que lui et ses ennemis de l’époque ; Il se réfère à un territoire ayant sa propre histoire endogène, façonnée par des guerres dynastiques, des guerres religieuses, ou exogènes comme les invasions des hordes mongoles qui essuyèrent leur première défaite en Palestine par l’armée d’une dynastie d’esclaves égyptiens, les mamelouks. Désormais les populations moyen - orientales tiennent, par la victoire de Aïn Djalout (1260), leur bataille de Poitiers (732).
A suivre