Italie, Autriche, Hongrie, Pologne, Espagne, France, Grèce, Pays-Bas, Grande-Bretagne, Irlande, Belgique, Roumanie, Tchéquie, Portugal… Cette liste, non exhaustive, exhibe au sein des pays membre une lame de fond polymorphe, contestatrice de l’Europe, de ses règles et de ses institutions. Quiconque fait semblant de l’ignorer, cherche des explications futiles ou lénifiantes puis s’en va dormir tranquille en croyant que quelques qualificatifs dédaigneux, comme populisme, extrême droite, gauche de la gauche, ultra - nationalisme, racisme, etc. peuvent encore jouer leur rôle de repoussoir ou d’excommunication, rejoindra désormais la liste d’un salutaire ostracisme de la part des citoyens européens.
Les causes de ce désamour qui, chemin faisant, s’est transformé en répulsion sont à chercher dans l’Histoire récente et aux mécanismes - aussi technocratiques qu’antidémocratiques – de la superstructure européenne. Le processus est flagrant. Au lieu d’essayer de mettre fin au déficit démocratique en son sein, l’UE a essayé de l’exporter au sein des pays membre. Aucun peuple n’a été questionné sur l’élargissement. Puis, l’UE ayant intégré non pas des pays mais des problèmes flagrants se situant auparavant au-delà de ses frontières, il a fallu « simplifier », dans le sens d’une déperdition des processus démocratiques. Cette fois, plusieurs peuples interrogés ont répondu par la négative, mais ni aux Pays-Bas, ni au Danemark, ni en France la consultation populaire n’a été prise en compte. Pointait déjà le concept « pas de démocratie concernant les traités », eux-mêmes entérines sans consultation populaire. Dès lors (sans jeu de mots) le désamour s’installa, comme conséquence d’une construction qui n’est plus désirée mais imposée.
Il en fut de même pour l’orientation économique de l’UE. Jacques Delors fut le dernier président de la Commission envisageant un volet social solide à la construction européenne. Depuis son départ, la forme la plus arrogante et la plus sourde aux besoins des citoyens pose, les unes après les autres les chaines d’un néolibéralisme absolu, se référant de préférence à Adam Smith et sa concurrence loyale, mais, en fait, multipliant pour les nantis les poches d’exception nécessaires à l’épanouissement financier, profitant du moins offrant du prix du travail des pays nouveaux venus et sanctionnant quiconque, telle la Grèce, oserait plus de justice sociale. Tel un rouleau compresseur, et proposé comme une fatalité, une évidence, le dogme d’origine allemande de la rigueur, associé au levier infernal de la dette perpétuelle pour les récalcitrants a transformé la pensée politique en une simple émulation entre bons et mauvais élèves. Les premiers profitant de la crise financière et les seconds la subissant. Processus largement expliqué par Naomi Klein et fortement critiqué par le prix Nobel de l’économie Joseph Stieglitz, entre autres. Les citoyens européens sont ainsi passés du sentiment d’être broyés par un processus qui leur est imposé, à celui d’une répulsion envers la technostructure européenne et de tous ceux qui l’appuient.
Parallèlement, la pensée libérale consumériste et apolitique cultive le terreau individualiste et isolant des citoyens sanctionnant tout projet qui se voudrait collectif, surtout s’il met en cause le dogme, n’acceptant dans les faits que des désirs individuels, et ceux qui remplacent par leur action caritative les carences de l’Etat. Medias et réseaux sociaux participent à cette déconstruction du politique multipliant à l’infini causes et désirs et tuant toute velléité d’hiérarchisation, toute différence entre l’important et le futile.
L’acide soudant la paupérisation des Etats, le vide existentiel collectif et l’égoïsme financier, produit des sociétés ingouvernables, créant le terreau d’une mobilisation a historique et nostalgique qui soude les citoyens au sein de projets se référant au paradis perdu rêvé de leurs mythes constructeurs. Ainsi, pour saisir les variantes de leur radicalité, il faut aller encore plus loin dans le réveil des vaincus de l’histoire, c’est à dire à la IIe guerre mondiale et l’après guerre qui façonnèrent l’idée de la construction européenne
2. Une radicalité multiple.
La « crise », bien plus existentielle qu’économique génère une radicalité polymorphe nostalgique. La nostalgie expliquant le polymorphisme. Il est plutôt aisé d’expliquer le radicalisme progressiste de la Grèce et de l’Espagne. Les deux pays ont connu une guerre civile sanglante dont les perdants, terrassés, ont trouvé un répit momentané (et l’oubli) dans l’adhésion mais dès lors qu’ils se révoltent, c’est aux mythes et aux réalités de la guerre civile qu’ils trouvent la force de contester. Il est aisé aussi d’expliquer l’ultra nationalisme polonais. Ce pays qui a disparu a plusieurs reprises de la carte, conquis, partagé entre ses pays voisins, sacrifié au nom de la real politique britannique, ne considère pas naturellement ses voisins comme des amis, et encore comme des alliés naturels. Avant de se lancer dans le supranational européen, il faut qu’il se rassure autant que nation ; avant qu’il accepte les étrangers, il lui faut oublier les conquérants d’est et d’ouest qui ont supprimé sa propre identité. Certes le marché individualiste remplace l’occupation soviétique, mais toute interférence s’identifie rapidement à une perte d’identité fatale. Quand les frontières sont frivoles, que reste-t-il d’autre que le sentiment agraire et la religion ? La Hongrie a perçu sa soviétisation comme une punition injuste pour sa collaboration avec le nazisme. Elle n’oublie pas non plus l’attitude passive des pays européens et des Etats-Unis durant sa révolte contre Moscou. Comme en Pologne, le sentiment antisémite a été bridé mais n’a pas disparu. Il cultive des vieilles rancunes qui prennent l’allure de xénophobie et l’Europe apparaît comme un intrus perturbateur à leur digestion de l’histoire. Plus globalement, il existe un quiproquo. Pour l’Europe, l’intégration des pays de l’Europe centrale est un processus, une fin en soi. Mais pour ces pays, l’adhésion est un moyen (souvent aussi nécessaire que provisoire) pour s’affranchir du voisin russe. Mais il existe aussi une autre raison, plus fondamentale, quasi existentielle. Le contraire du communisme est le libre échange, l’offre et la demande, l’individualisme. Au sein de cette trinité il n’existe pas de nuance. A l’est, pays collaborateurs comme pays résistants conçoivent mal la notion même de frein, de règles réglementant cette trinité. Ce qu’en Europe occidentale on nomme criminalisation du politique, mafia, corruption ne sont que des moyens d’ascension sociale et de succès. En d’autres termes, pour se libérer de l’excès des règles communistes, il faut un monde sans règles, tels ceux qui identifient le capitalisme sauvage. La montée de l’extrême droite prend ici les allures d’une représentation politique entérinant la sauvagerie et l’égoïsme individuel permettant l’enrichissement. Dans cette optique, l’Europe n’apparaît pas seulement comme une contradiction entre les projets et les moyens mais comme le comble de l’hypocrisie des tenants face aux désirants. S’est la définition même de l’extrême droite au sein de la « vieille Europe ». La ligue du Nord en Italie, l’extrême droite aux Pays Bas et en Belgique, peuvent être définies comme la révolte des nantis hédonistes contre les pouilleux qui utilisent l’Etat (et l’Europe) pour leur voler leurs biens. Ils ont la même attitude vis à vis de l’islam qui voudrait leur imposer un mode de vie austère, rétrograde, théocratique et interventionniste. Dans ces trois cas, l’extrême droite revêt les habits d’un modernisme jouisseur, exhibant un style de vie déluré et débarrassé de toute contrainte éthique au niveau des mœurs… et de l’économie.
A suivre, 3 Le cas de la France et de l’Autriche.