Entre 1880 et 1920, plus d’un million de polonais quittèrent leur pays pour la France. D’abord des patriotes, puis des juifs persécutés et enfin des travailleurs sélectionnés pour leur robustesse et destinés aux mines du nord et les champs, désertés à cause de l’hécatombe de la première guerre mondiale. Après la crise de 1929, l’Etat français en expulsa une partie importante, ne se privant pas de retirer la nationalité française lorsque celle ci avait été octroyée, en commençant part les plus turbulents qui avaient osé se syndicaliser voir à se hisser la tête du mouvement ouvrier. Il en fut de même pour les italiens, souvent en situation précaire à cause de leur statut de « journalier agricole », et seuls les piémontais ont relativement échappé aux expulsions massives. Déjà, en 1893, à Aigues Mortes, les italiens engagés par les Salines du Midi avaient subi une sorte de pogrom (8 morts officiellement, en fait quelques dizaines), et l’armée avait du intervenir pour les sauver du lynchage. Les belges n’ont pas été mieux traités, raccompagnes depuis les mines du nord à la frontière chaque fois que les maîtres des forges licenciaient ou chaque fois que les mineurs essayaient de se syndiquer et remplacés par de kabyles réputés plus dociles. En fait, dès le début des années vingt, les rescapés des massacres génocidaires en Turquie (arméniens puis grecs), ceux des pogroms de l’Europe centrale (Ukrainiens, Polonais, Russes, Biélorusses) puis des colonies, étaient utilisés comme des épouvantails pour combattre le mouvement syndical ouvrier, créant de la sorte une xénophobie populaire, qui à son tour était utilisée par l’Etat pour obliger les populations des survivants à la « transparence ». Moins on les voyait et mieux ils se portaient. Une manière sadique de concevoir le modèle d’assimilation. Et les choses pendant les trente glorieuses ont peu changé, puisque les travailleurs immigrés des années 1950-1960, pourtant « importés » pour les besoins du boom économique, sont restés jusqu’à la fin des « travailleurs de seconde zone ». Il en fut de même pour le « miracle économique allemand » et les immigrés grecs puis turcs, qui ont vécu dans une précarité administrative flagrante. Quand aux réfugiés politiques espagnols, leur sort fut - quelques années avant - bien pire, puisqu’ils furent parqués dans des camps d’internement et finalement, pour les moins chanceux, livrés aux forces d’occupation.
On peut décliner à l’infini l’histoire récente des migrations, on trouvera toujours ces constantes. Il nous paraît réducteur de limiter les attitudes des Etats au seul paroxysme génocidaire de la Shoa, celui-ci cachant une évidence : il n’y a jamais eu d’immigration heureuse, ni d’intégration généreuse. Il y a eu une utilisation cynique du désespoir des survivants, le ceci d’alors expliquant le cela d’aujourd’hui.