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Billet de blog 8 juillet 2012

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Les Empêcheurs de pisser en rond

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Bienséance, valeurs, morale, éthique et civilité, voilà l’angle d’attaque que prennent désormais nos gouvernants pour nous faire croire qu’ils existent toujours, qu’ils peuvent et qu’ils veulent faire « quelque chose ».  Et quand on dit nos gouvernants, on y inclut ceux du monde entier. Voilà donc les fameux « sujets de société » qui envahissent notre quotidien sous leur forme la plus restrictive, la plus moraliste et la plus punitive. Pour lancer un cerf volant, il faut désormais un moniteur. Combien de temps encore pisserons nous débout ? La prostitution sera (c’est impératif !) interdite, bannie hors des murs de la cité. Fumer dans la rue ? Mission impossible. Tout comme rouler à plus de 100 à l’heure, assister à des corridas, pratiquer la pêche sous-marine, se prélasser près des zones inondables, se promener en montagne ou dans la nature sauvage - comme si on était au zoo -, hors des chemins balisés. En fait, la politique prohibitionniste - qui a démontré son manque d’efficacité en ce qui concerne les drogues -, est en train d’envahir tout le domaine récréatif, celui de la vie de tous les jours, et ce, dans ses moindres détails désormais codés. Nous sommes là, crient les gouvernants, nous nous occupons de votre bien être, de votre dignité, de vos droits, de vos vices et de vos vertus. Nous vous protégeons contre vos mauvaises habitudes, nous prenons soin de votre santé physique et morale. Bref, le domaine privé, la responsabilité individuelle, la conscience de chacun sont généreusement amputés par ces mécanismes infernaux qui ont comme objectif de créer un homme unidimensionnel standard ; il en est de même pour les populations ayant quelque chose de différent : eux aussi suivent un chemin, celui de la standardisation. Ils seront comme tout le monde, se marieront, se ruineront en divorces et auront à gérer la galère des familles recomposées. C’est ça la république égalitaire, juste et morale. 

En d’autres temps, on appelait cela « montée des totalitarismes », « utopie révolutionnaire », « esthétique des masses » et on s’insurgeait contre ceux qui discouraient sur « l’homme idéal ».  On disait alors « que le chemin des bonnes intentions est souvent jalonné de cadavres », fussent-ils exquis. On se révoltait contre la « montée de l’insignifiance », et on disait que « le diable se cache dans les détails ». Ces temps de révolte et de sagesse sont révolus. Nos amuseurs le savent, eux qui ont besoin d’une bête noire présidentielle, d’un gaffeur ou d’une gaffeuse patentés pour pouvoir s’exprimer. Car eux aussi, si croustillants et corrosifs soient-ils, ne peuvent plus traiter des sujets et prononcer des « mots interdits ». Juifs et handicapés, chrétiens et mongoliens, musulmans et aveugles (excusez-moi, malvoyants) ne peuvent plus être traités. Quand aux arméniens, on va proposer une loi qui, de nouveau, condamne la négation de leur génocide. Car là aussi, il existe des sujets intraitables : colonisation, esclavage, génocides ont désormais une « histoire officielle », balisée comme les chemins de Porquerolles, d’où l’on ne s’aventure qu’à ses risques et périls.

Contrôler au nom des libertés, interdire au nom de l’égalité, exclure au nom de la fraternité, n’est plus un exercice oxymore mais la gestion du quotidien. Plus personne ne s’insurge de ces moules collectifs, de ces poncifs dignes d’une classe de recréation et dénués de conscience historique. On ne sait plus quoi inventer comme interdit pour démontrer sa bonne foi, son progressisme, sa « modernité ».  Le droit remplace l’éthique, la conscience d’être et celle d’appartenir à un ensemble ; presque plus rien ne suit les lois ancestrales et non écrites de l’eumétrie et de la hiérarchisation : les gouvernants lâchent leur avis comme un adolescent le fait (impunément) à Facebook ; la complexité politique et sociale trouvent «  la solution » en cinquante caractères sur Tweeter. Le bon mot remplaçant le mot juste.  Celui qui vient de loin, des profondeurs de l’histoire et de sa complexité. L’Histoire n’est plus enseignée, elle est racontée, à sa guise, financée en sus par le maire et la RATP.

Cette politique d’harmonisation globale vers le plus petit dénominateur (intellectuel) commun, ouvre grandes ouvertes les portes d’un individualisme forcené qui se met au diapason de  l’action des gouvernants. Les gouvernés, eux aussi, voudraient façonner le monde tel qu’ils le conçoivent. Eux aussi voudraient que leur voisin soit comme eux, pense comme eux, s’habille comme eux, fornique comme eux.  Partouzards inclus. A chacun son uniformisation, son intégration, son « respect », ses idées reçues, ses - on y revient - valeurs.

Ainsi, plus on harmonise et plus on crée, souvent là où il ne le faut pas, des différences, de nouvelles ségrégations, de nouvelles exclusions. Le désir de différence étant remplacé par celui d’imposition. Il faut lire les textes des amis de la terre, des animaux, des anti - corridas, des collectifs non fumeurs ou des associations « luttant » contre l’excès de vitesse sur les routes. Il y a là une agressivité absolutiste, une hargne incommensurable, une férocité et un pathos digne de l’époque des « ennemis du peuple » que l’on retrouve aisément chez les aficionados des partis politiques,  des clubs de foot ou de la biodiversité. Biodiversité nécessaire pour tout organisme de la terre entière mais impensable pour ses prochains. Comme si, un désir de violence naturel mais frustré de l’essentiel déménage vers l’insignifiant, le marginal ou l’anecdotique.  

Quant à l’essentiel, le fait que ce qui régit notre quotidien, c’est-à-dire l’économie, se situe bien loin des lois de la cité, qu’il déstructure le holos sociétal en se dérégulant, gouvernants et gouvernés « pensent » qu’il n’y a rien à faire, que le rapport de forces, baptisé fatalité ou évidence, ne se discute pas…  

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