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Billet de blog 9 octobre 2016

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Le grand retour de l’homme reptilien

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Si un constat devrait déterminer notre époque ce serait celui de la limitation drastique de la pensée. Tout contribue à simplifier le complexe, à remplacer l’histoire par la nostalgie, voire le ressentiment, à faire appel aux instincts les plus primitifs plutôt qu’à la raison, à gratter besogneusement les couches successives des acquis à la recherche d’un nucléus fondamental imaginaire et imaginé.  Tournant le dos à l’essence même de la quête humaine du bien être et de raison de vivre, les constructions aussi complexes qu’inanimées gérant l’homo sapiens ne lui proposent que la survie ou une vie meilleure que celle du voisin. Les interrogations se transforment en dictats, l’espoir en sens unique, l’entendement en dogme. Cela faisant, dans le but inique de préserver leur pouvoir à travers un monologue qui emprunte la forme et le fond d’un discours sacré, ils ont oublié que la marche a été forcée, que l’homme a mis des siècles pour passer du pragmatisme d’une survie itinérante à la construction du récit positif  du « nous », et mit des siècles encore pour s’imprégner de l’idée que « nous et les autres » c’est - à peu de choses près – pareil.  C’est ce récit constructif de l’humanité, qui endosse les différences tout en sublimant le destin commun, que les chantres de la globalisation ont évacué en ramenant une part importante de l’humanité dans un statut rétrograde où le choix binaire qu’ils lui concèdent se résume à être nous ou ne pas être.

D’autres thalassocraties, d’autres empires, d’autres envahisseurs, d’autres religions ont fait de même par le passé. On peut même dire que leur aventure a permis le brassage des peuples, la multiplication des échanges, la mise en contact de récits différents ou divergents. Ils l’on fait de manière aussi brutale qu’aujourd’hui, sacrifiant à cette unité formelle et impériale des millions d’humains, radiant de la surface de la terre des peuples entiers, dont il ne reste qu’un souvenir scolaire. Mais ils l’ont fait au nom d’un dieu, d’un monarque, d’un empire, au nom d’une idée souvent plus conquérante que leurs armées. Or, aujourd’hui, l’envahisseur n’a ni la force morale, ni la force des armes, ni même l’attractivité culturelle ou idéologique de ses prédécesseurs. Pour le dire autrement, un empire décadent cherche son salut dans l’exportation de ses pratiques défaillantes qu’elles soient morales, commerciales ou administratives, puisque il ne pratique plus ce à quoi il déclare croire, et que son mode de fonctionnement crée autant d’entropie en son sein que partout ailleurs.  

Ce qui est contestable finit par être contesté. Athéniens, Romains, Byzantins, Vénitiens, Mongols,  Moghols, Vikings Danois, rois britanniques, empereurs austro - hongrois ou sultans ottomans en savent quelque chose.  Mais entre temps ils furent bâtisseurs, législateurs, brasseurs de civilisations, transformant le monde, qui garde leur héritage bien après qu’ils aient disparus. Car ils n’ont pas confondu le début à la fin ou la fin comme finalité. Excepté peut-être les mongols qui furent des envahisseurs pragmatiques, les empires croyaient à quelque chose, que ce fut leur propre pouvoir incontestable, leurs dieux,  leur destinée ou leur culture, qui ne se résumait pas au nombre de I Phone vendus de par le monde,  de l’exportation de valeurs telle une démocratie qui n’est plus chez eux qu’une formalité travestie ou un dieu si peu suivi qu’il serait improbable qu’il ne devienne hégémonique chez les autres. 

Les technocrates qui nous gouvernent agissent en contre temps. Suivistes d’une mondialisation financière qui n’a rien d’excitant ou de transcendant, croyant faire œuvre universelle en s’occupant du futile et de l’insignifiant, croyant mondialiser le monde en rendant leurs sens inactifs, ils génèrent, par leur mépris de la réalité polymorphe, ici comme ailleurs un sentiment reptilien de survie,  qui non seulement les conteste mais conteste aussi l’héritage, péniblement acquis, de la différence créative, de l’acquis, de l’histoire. Etonnés, ces technocrates aussi bornés qu’incapables, voient surgir des chevaliers d’un autre temps,   des haschischins médiévaux, des prophètes hallucinés, des nationalistes très 1930, des prophètes naviguant au sein d’une mer de désespoir. Et que proposent-ils ? Plus de I phone, plus de télé avilissante, plus de chemin balisé et obligatoire, en dehors duquel ils ne conçoivent pas de salut.  

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