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Billet de blog 10 septembre 2013

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Égoïsme chéri

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« Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil », ce titre sarcastique d’un film Jean Yanne qui ne se voulait pas autre chose qu’une comédie relatant les dérives de notre monde et de ceux qui en rendent compte, montre pourtant que depuis les années 1970 l’appauvrissement d’analyse est fulgurant. Une « comédie populaire » de cette époque raconte mieux le monde que nos analystes patentés d’aujourd’hui. Sans s’attarder sur le film lui-même, observons que les relations nord-sud, les compromissions du pouvoir politique et celui des médias, et surtout le porte à faux entre ce que l’on dit et ce que l’on fait, entre idéologie et praxis, sont exhibées sans fard, et sans faux espoirs. Etait-ce que l’époque était plus tranchée, que le champ politique était plus palpable ? En tous les cas, on avait bien compris à l’époque que le malheur des uns fait le bonheur des autres, que de la crise grecque (à l’époque il s’agissait d’un pays exotique) profite non seulement aux méchants financiers mais aussi aux travailleurs français ou allemands, qu’un patron de gauche est avant tout un patron, et que les médias objectifs le sont tant que ça leur rapporte.  En 2013, deux manichéismes s’opposent. D’un côté,  le bien connu, celui qui,  gérant l’instant, cherche à nous rendre amnésiques et apolitiques. Il claironne à tout va que la crise impose une politique sérieuse et que ne sont sérieux que ceux qui, sans broncher,  acceptent tous les sacrifices, persuadés qu’il n’y a pas d’autre solution que celle qui consiste à faire payer par les pauvres les fautes des riches et de leurs dirigeants. L’autre manichéisme, moins analysé, consiste à dire que tous les pauvres sont les mêmes, que ce qu’ils perdent est identique et que, solidarité aidant, se mettra en place un front du nord au sud qui balaiera les mauvais financiers. Ils s’acharnent, ces derniers à prouver que la réforme des retraites en France n’a rien de différent que le cataclysme qui est tombé sur les salariés et les retraités espagnols, que les pauvres en Allemagne sont comparables aux affamés portugais, ou que l’augmentation des impôts en France est aussi injuste que la prédation de tout un peuple en Grèce. En conséquence, on doit se révolter partout et de la même manière. Dans un monde où l’information, même de mauvaise foi, circule amplement, on continue à croire que le français moyen souffre autant que le grec moyen.  Et de la sorte, on va de déception en déception.

Certains disent aujourd’hui que la lutte de classes c’est fini. Bien sûr qu’elle est toujours là. Mais, comme toute autre chose, elle est devenue bien plus complexe. Et cette complexité, il faudra bien un jour l’analyser et y chercher les réponses adéquates. Pourquoi donc en France, c’est le Front National qui engendre des dividendes de cette crise et pas le Front de Gauche ?  Pourquoi Merkel est en passe de gagner les élections,  que le parti de gauche De Link, reste marginal  et que le SPD comptabilise le plus grand retard de son histoire ? Pourquoi en Italie, le Parti des Libertés, malgré la condamnation de Berlusconi  continue à faire  la pluie et le beau temps ?  Pourquoi la gauche traditionnelle, partout en Europe, est plus timide dans ses propositions que le FMI ? Pourquoi le ministre socialiste français de l’économie et des finances trouve que la proposition de la très libérale Commission de taxer les transferts financiers est excessive ? Pourquoi le seul sujet important dans le face-à-face télévisé entre Merkel et Steinbrück portait sur une éventuelle restructuration de la dette grecque, que la chancelière allemande voudrait cacher ? Justement parce que la crise n’est pas partout pareille, que les électorats nord - européens veulent avant toute chose préserver leurs acquis (qui existent toujours en partie) et ne veulent surtout pas endosser la responsabilité d’une réponse collégiale européenne qui les obligerait à se démettre de certains de leurs avoirs. En d’autres termes, une partie non négligeable des salariés sont aussi des actionnaires. Pas dans un sens restrictif de possédants de portefeuille, mais en tant qu’ensemble social profitant de la main mise de leurs institutions financières sur les pays du sud. Demandez donc qui est prêt à peiner, un peu soit-il, pour alléger les souffrances du peuple grec. La révolte égoïste, celle qui consiste à lutter pour soi, à vilipender l’autre, l’étranger n’est-il pas le moteur principal de la montée de l’extrême droite en Europe, Grèce incluse ?  Les politiciens de tout bord ont bien compris cette mécanique. Ils en ont peur et donc ce à quoi il pensent d’abord, c’est s’harmoniser avec cette attitude, se « droitiser » et se « radicaliser » à la fois, tout en gardant un œil sur le marché et ses bailleurs. Gérant des enfants gâtés, aux tendances égoïstes et contestataires à la fois, ils voudraient les caresser dans le sens du poil.

Les pays du nord, responsables principaux de la crise financière ont, les premiers, désigné comme boucs émissaires les PIGS. Paternalistes et autoritaires, ils ont déplacé leur responsabilité essayant de créer des nouvelles conditions de travail en limitant au maximum son prix. C’est ce qu’on appelle la « compétitivité ». Celle-ci, ajoutée au désert entrepreneurial du maillon le plus faible, c’est-à-dire la Grèce, joue désormais le rôle de « frein » à toute demande de mieux, poussant les salariés dans une logique minimaliste de préservation des acquis. Les réformes du travail en Allemagne ont créé une multiplication des strates salariales. Donc, des « parias » mais aussi des « nantis ».  Ouvriers, certes, mais « privilégiés ».  Quand à la France, dernier bastion d’un état social et passablement solidaire, elle doit répondre à cette double pression, tout en intégrant ses vieux démons frontistes : il existe certes - et encore - dans ce pays une France solidaire face à une autre égoïste. Mais cette lutte de classes interne, parallèle à une autre européenne et un marché mondialisé, font de la France le prochain champ de bataille qu’elle devra mener aussi bien contre des vrais ennemis que contre ses faux amis. A condition de comprendre qu’il s’agit bien d’une guerre, et que celle-ci ne se situe pas dans les salles de négociations des COREPER, ni dans une illusoire amitié franco-américaine qui préserverait - croit-elle - sa position dominante au sein de l’Europe. 

 En résumé, il n’y pas en Europe de lutte de classe globale entre les riches et les pauvres, entre les nantis et les laissés pour compte. Il y a, par contre, une multitude de luttes allant du local au global, souvent contradictoires. Penser les fédérer reste une chimère. Car le levier principal  de cette fragmentation n’est autre que notre égoïsme chéri et ses multiples représentations politiques.  

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