Comment le dire autrement ? Comment le faire comprendre ? Comment sortir les citoyens des débats qui n’ont rien à voir avec les enjeux réels et qui les clivent sur des faux problèmes ? La contradiction que l’on nous vend consiste à nous dire que le choix est entre « croissance » et « droits acquis ». Plus de croissance, moins d’Etat social, moins d’impôts, plus de croissance, plus de rigueur, moins de santé, etc. On nous tourne en bourrique…
Le seul, l’unique débat qui compte, et il fait mal, porte sur la dette artificielle. Pendant des siècles, depuis la révolution industrielle, l’Etat accédait au crédit à taux zéro. Depuis 1974, il ne peut plus emprunter qu’auprès du marché. La clé est là. Ce système permet deux choses : Une augmentation faramineuse de la dette, une dépendance financière permanente d’une part. D’autre part, ça va de soi, l’imposition par le marché d’une politique unique, qui sanctionne toute volonté sociale et ferme les yeux à ce qu’il nomme « la bonne voie ».
En conséquence, la seule et unique manière de s’en sortir c’est de contester les mécanismes qui créent la dette et la dette elle-même. Pour cela il n’y a pas quarante solutions non - plus. L’Europe promeut ce système ? Il faut lutter contre cette Europe. Les gouvernements européens s’y plient ? Il faut s’opposer à ces gouvernements. D’autant plus que ces derniers jouent de ce levier pour obliger les peuples à accepter l’impossible : perdre, chaque jour un peu plus, leurs acquis sociaux au profit du marché et surtout leur autonomie politique.
Ne soyons plus dupes : encore aujourd’hui le Trésor américain prête aux banques américaines avec un taux de 0,002. Soit proche de zéro. Bretton Woods, il s’en torche le cul. L’orthodoxie financière est une arme pour les récalcitrants, et pour eux seulement. La dette devenant ainsi un outil répressif et normatif. C’est là sans doute la grande différence avec les années d’avant et d’après guerre. Les maîtres de forge, les multinationales, les grands conglomérats industriels et financiers d’alors, influençaient le pouvoir politique. Les privatisations balladuriennes étaient, en ce sens, significatives : l’Etat et ses serviteurs, associés aux « grandes fortunes », pérennisaient - voire officialisaient - cette alliance au sein des « noyaux durs ». Les moyens de pression étaient innombrables au sein de cette alliance consanguine, mais l’Etat avait toujours son petit mot à dire.
De l’ère pompidolienne à la régence balladurienne, par petits pas, le quasi final, étant celui du ministre socialiste de l’économie Dominique Strauss Khan, la financiarisation des règles et des esprits et la recherche « à court terme » de résultats, l’emporta sur les pratiques anticipatrices sensées définir une politique d’Etat, et amena l’hégémonie absolue du marché, qui s’empara parallèlement des leviers européens pendant et surtout après la présidence de Jaques Delors. L’ère Reagan et Thatcher, la chute du mur de Berlin, la gestion mafieuse de la Russie d'Eltsine, l’âge d’or des « offshore » et des paradis fiscaux, concrétisèrent l’idée que l’argent peut être investi à perte pourvu que le système financier ne soit pas contesté en tant qu’outil répressif monopolistique. En effet, les crises financières qui s’en suivirent et leurs responsables ne furent aucunement sanctionnés tandis que tout a été fait pour sauver ce système par des prestidigitations qui n’avaient rien à voir ni avec les règles fondamentales du capitalisme, ni avec celles de l’offre et de la demande.
Les mécanismes de prédation mafieuse propres aux nouveaux espaces « intégrés » (CEI, Balkans, Caucase, Ukraine, Iraq, donnèrent le « la » pour l’ensemble de l’économie financière globalisée. Tandis que le printemps arabe balayait les dictateurs post coloniaux, leurs pratiques devenaient la norme pour l’économie mondiale. Incapable de faire autre chose que remettre aux calandres grecques un effondrement désormais visible à l’œil nu, cette théocratie financière au commandes sacrifia le legs de l’Etat social utilisant des formes de démocratie formelle, voir approximative, qui n’avaient plus rien à voir avec les traditions démocratiques occidentales : exécutifs imposés, chantages, effilochage de l’Etat providence, marginalisation des partis et mise sous tutelle des pays eux-mêmes, au profit de décisions et de directives bien plus proches des dictats ou des ukases que de négociations politiques collégiales. En conséquence, tout débat politique s’effondra, des termes vagues, scolaires et subjectifs, comme « bonne voie », « progrès insuffisants » le remplaçant. Il est sous-tendu par un monologue audiovisuel et gouvernemental soulignant « qu’il n’y a pas d’autre solution » que celle de « réformes pénibles ». Le mot reforme lui même, travesti et éloigné de sa signification première indiquant une transfusion monétaire massive des plus pauvres vers le pouvoir financier et son aristocratie rentière dirigeante.
A suivre…