Pour faire simple, l’extension du domaine des opérations au Moyen Orient n’est pas qu’une question comptable de forces militaires en présence. C’est surtout le résultat d’une vision de l’espace divergente entre les pays occidentaux et par conséquent de l’ONU d’une part (Iraq, Syrie et Kurdistan autonome) et des djihadistes d’autre part, qui font fi des frontières telles quelles et « pensent » à la vielle unité géographique du Levant. Sur cette région du monde quatre puissances régionales jouent (ou auraient du jouer) un rôle géopolitique structurant. Toutes les quatre ont été plus ou moins neutralisées par la politique américaine et occidentale, qui croit toujours à la politique d’un autre temps, celle de Kissinger et de son damier. L’Iran et la Turquie, en tout premier plan, auraient du jouer leur rôle. Tous les deux sont sous pression. La région autonome kurde et le fait que les propositions turques concernant la Syrie sont complètement ignorées par les américains neutralisent la Turquie, qui connaît par ailleurs une poussée de défiance envers l’Occident qui est sensé appuyer les revendications (par ailleurs justes) pour une société civile libérée de la tutelle religieuse et moralisante. L’Iran qui cogérait l’Iraq avec les américains subit, lui aussi le fardeau des sanctions et de l’embargo, action proche du minimum syndical mais obligée, à cause du troisième acteur régional, Israël. Quand à l’Egypte, elle se trouve en pleine recomposition, donnant des signes contradictoires du fait qu’elle doit agir dans la rupture vis à vis de l’ancien régime inféodé aux Etats Unis et à Israël mais aussi cherchant l’appui de Washington dans sa quête de « normalisation ». En tout état de cause, l’armée égyptienne a d’autres soucis et d’autres priorités, celle de « pacifier » la société civile et anéantir les frères musulmans, aidés par le cinquième acteur régional, l’Arabie saoudite.
En conséquence, la percée de djihadistes du Levant, joue sur la « neutralisation » des puissances régionales, qui ont pourtant une connaissance parfaite de terrain, des enjeux locaux et des forces en présence. L’Iraq (comme l’Afghanistan, comme le Kurdistan, comme la Syrie, comme un peu plus loin la Lybie) est ainsi abandonnée aux fratries féodales locales, qui, laissées seules sur le terrain, pratiquent des alliances mutantes, choisissant la force qui préserve au mieux leur intérêts claniques. La guerre éclair des djihadistes du Levant rappelle celui des Talibans : peu de guerre, beaucoup de ralliements.
En conclusion cette guerre est celle d’un espace réel contre des pays hypothétiques, qui certes l’ont réellement été, mais dont l’action occidentale a détruit leur essence même.