Michel Koutouzis (avatar)

Michel Koutouzis

Abonné·e de Mediapart

258 Billets

1 Éditions

Billet de blog 13 avril 2015

Michel Koutouzis (avatar)

Michel Koutouzis

Abonné·e de Mediapart

De quelle extrême droite parle-t-on ?

Michel Koutouzis (avatar)

Michel Koutouzis

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

J’écrivais il y a quatre ans dans « Crime trafics et réseaux » : « Le particularisme de ce que, par paresse intellectuelle, on nomme extrême droite aux Pays-Bas consiste au fait que, selon elle, les pressions européennes et le fait que leur pays soit montré du doigt, ont fait sortir la consommation de cannabis (et les coffee-shops) du domaine privé et l’ont transformé en problème pour tous. Bien avant de s’attaquer à l’islam, l’extrême droite s’en est prise au narco touriste, par qui «le scandale arrive » (et non pas à ses fournisseurs). Cette « extrême droite », dont Pim Fortuyn fut le personnage charismatique le plus représentatif, se plaçait d’emblée sur la défense des acquis culturels propres à son pays. Tout ce qui, dans la pensée classique de l’extrême - droite est généralement considéré comme une perversion ou une tare (homosexualité, promiscuité, libertinage, dandysme, hédonisme, mariage gay, etc.), fut transformé par Pim Fortuyn en « valeurs », en mode de vie à défendre face à l’obscurantisme de l’islam : Ce dernier est donc non assimilable tout simplement parce que ses valeurs, la vision qu’il a de la femme, ses habitudes vestimentaires, son exhibitionnisme religieux, voir son rigorisme militant, etc., sont contradictoires avec la société de tolérance néerlandaise. Inutile de dire que ce discours politique, qui prévoyait l’ostracisme pour tous ceux qui ne s’inscrivent pas dans le cadre de la tolérance made in Netherlands, eut un grand succès. Le lendemain de son assassinat (6mai 2002), le mouvement de Pim Fortuyn devint le deuxième parti des Pays-Bas avec plus de 17% des voix ».

Face à une droite classique rétrograde et une « gauche de gouvernement » alignée aux recettes néo –libérales de l’Union Européenne, les voies choisies par les extrêmes droites en Europe s’expriment sur une palette très large, allant de l’Aube Dorée grecque, un ramassis des nostalgiques du nazisme et de la dictature des colonels, aux islamophobes et europhobes esthètes néerlandais cités ci dessus. Le débat actuel interne au Front National, n’est donc pas une simple péripétie, ou un conflit de génération au sein de la famille Le Pen. Il représente une évolution qu’on aurait tort de sous-estimer, et une faute si on continue à dormir tranquille sur le postulat réconfortant que rien n’a changé au sein de ce parti. Certes, entre les dirigeants et les cadres du FN et sa base l’équation n’est pas encore résolue. Mais ce n’est qu’une question de temps. Car ce qui unit et renforce les directions de l’extrême droite européenne depuis Budapest jusqu’à Bruxelles reste une constante : l’Union Européenne n’arrive pas à résoudre la crise tout en imposant aux peuples européens des dictats aussi inefficaces qu’autoritaires. En d’autres termes, c’est l’autoritarisme et le manque de démocratie des institutions européennes qui nourrit, au niveau des Etats membre, les partis autoritaires et antidémocratiques. Ce jeu de miroirs qui oppose l’arbitraire technocratique au nationalisme nostalgique, aurait été vite dépassé si les questions économiques, sociétales, d’immigration, avaient eu un soupçon de début de solution pour le citoyen. Ce dernier agit donc au sein de la palette citée ci-dessus, par rapport à sa propre histoire et celle de son pays. Ainsi, le savoir faire industrieux et commercial transfrontalier piémontais  se transforme en régionalisme égoïste ; la social-démocratie scandinave accouche d’une extrême droite xénophobe et radicale ; aux ex pays socialistes s’épanouissent des droites extrêmes néolibérales mais europhobes ;  en Belgique la question de la langue cache mal une droite extrême revancharde et égotiste flamande ; sans parler des Pays Bas, déjà cités. En France le FN s’essaie, une fois encore à une synthèse de tous ces éléments, des plus esthètes/tolérants aux plus identitaires/réactionnaires, auxquels s’ajoute la tradition tribunitienne sudiste, celle extrémiste pied noir, les nostalgiques de l’Etat vichyste, la radicalisation désespérée des ex bastions nordistes et communistes.  Une telle synthèse, bien plus compliquée que celle effectuée par Jean-Marie Le Pen à la fin des années 1970 serait impossible, tout comme serait impensable l’épanouissement à ce point d’un parti eurosceptique pro City et anti euro en Grande Bretagne, si l’Europe ne pataugeait pas dans ses contradictions, si elle paraissait efficace, si ses discours étaient moins disjonctés que ceux des droites extrêmes, si elle était moins obsédée par les obsessions allemandes et les directives du marché.

Si le sentiment d’injustice et d’humiliation ont été hégémoniques en Espagne et en Grèce, débouchant sur des expressions politiques alternatives plutôt « à gauche », le sentiment de peur - si bien déclinée sur le reste de l’Europe par ses propres gouvernants -, aboutit à une radicalisation des extrêmes droites qui n’ont de commun que… cette peur. Mais on aurait tort (en France plus qu’ailleurs) de vouloir se fixer sur un « standard » d’extrême droite bien de chez nous, qui n’existe que dans les moyens dérisoires mis en place pour la combattre. 

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.