A regarder de près ceux qui gouvernent ici et ailleurs, en France, aux Etats-Unis ou en Europe, on est pris d’une infinie tristesse. Même pas du malaise de voir une vie qui commence en 1947, en pleine guerre civile grecque et qui s’effiloche après tants et tant de moments forts de l’Histoire, entourée sur sa fin de platitudes, de mièvreries mielleuses, de lieux communs, de petitesses abjectes, de slogans publicitaires remplaçant désormais la parole politique. Vieux con diront certains. Touriste visitant sa propre vie, Prométhée enchaîné par un spleen nostalgique qui l’empêche de voir tous les avantages d’un monde résolument meilleur, d’entendre un récit – berceuse d’une Europe pacifiée, qui atteint, en catimini, son but : remplacer la politique, la passion et les dangers qu’ils génèrent par des hommes ivres de consensus, des adorateurs d’un chemin à sens unique d’uniformité bienveillante et technicienne, qui noient leurs doutes à l’aide de statistiques asymptotiques, de pactes de stabilité, de fluidité financière et d’algorithmes réfrigérés.
Incurable poète, avec sa gracieuse prémonition Seféris portait la contradiction :
« Il faut donc considérer vers quoi nous avançons
Non pas comme le demande notre douleur, nos enfants affamés
Ni le gouffre de l’appel des compagnons de l’autre rive »
Mais il est possible de douter que Tusk, Dijsemblum, Macron, Valls, Hollande, Merkel ou Schauble soient capables de discerner cette discrète musique de l’entendement, puisqu’ils sont même sourds aux cris de désespoir de leurs administrés. En écoutant le président - comptable Hollande s’alarmer du fait qu’on entend chez Mélenchon sa poétique, son verbe, plutôt que son programme, me viennent à l’esprit les mots de Cioran : « C’est en vain que l’Occident se cherche une forme d’agonie digne de son passé ». « Au début il y eut le verbe » nous dit la Bible (ou le livre, ou la parole). Le fait est qu’à force de prendre les hommes pour des « données », des « chiffres » ces adorateurs d’asymptotes l’on perdue. Des mots il ne reste que les petits mots, eux qui pourraient, éventuellement, s’harmoniser avec les photos de Paris Match ou de Gala et faire la une du journal télévisé. Mais cela est la version optimiste. Car l’autre, plus pessimiste, décline ce que les petits hommes font (en Grèce, en Espagne, en France et ailleurs) sans explication aucune, sans verbe, sans dialectique, s’entourant d’un non-sens apolitique dénommé « bonne voie », « chemin à faire », « modernité », tournant le dos à l’essence même de la mathématique, mère de toutes les sciences. Bruno Latour qui s’y connaît en la matière (sans jeu de mots) nous dit : « Si vous voulez garder droites vos intentions, ne passez par aucune forme de vie technique. Le détour traduira, trahira vos désirs les plus impérieux ». Les petits bonhommes qui nous gouvernent, nous informent et croient nous interroger, ont depuis longtemps perdu le sens du verbe, des sciences et de l’art de gouverner. Ils voguent au sein d’un océan d’ l’insignifiance et clament toujours que la terre est plate, dans sa nouvelle version simplifiée : nous avons raison parce que nous avons raison.